Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/239

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en furie, se montrant à la fois sur tant de points différents, et avec une rage si inconcevable, que les officiers qui commandaient les troupes ne surent d’abord de quel côté se tourner ni que faire. De nouveaux incendies éclatèrent, l’un après l’autre, dans chaque quartier de la ville, comme si les insurgés avaient l’intention d’envelopper la Cité dans un cercle de flammes qui, se resserrant petit à petit, la réduirait en cendres tout entière ; la foule grouillait dans les rues comme une fourmilière, avec des cris affreux ; et, comme il n’y avait plus dehors que les perturbateurs d’un côté et les soldats de l’autre, ceux-ci pouvaient croire qu’ils voyaient là Londres tout entier rangé contre eux en bataille, et qu’ils étaient seuls contre toute la ville.

En deux heures, trente-six incendies, trente-six conflagrations importantes, étaient signalés ; parmi lesquels on comptait Borough-Clink dans Tooley-Street, le Banc du roi, la prison de la Fleet, et le nouveau Bridewell. Chaque rue était un champ de bataille. Dans chaque quartier, le bruit des mousquets de la troupe dominait les clameurs et le tumulte de la populace. La fusillade commença dans le marché à la volaille, où on avait tendu une chaîne au travers de la chaussée ; c’est là que la première décharge tua du coup une vingtaine de factieux. Les soldats, après avoir à l’instant emporté leurs cadavres dans l’église Saint-Médard, firent feu une seconde fois, et, serrant de près la foule qui avait commencé à céder passage en voyant l’exécution commencer, se reformèrent en ligne dans Cheapside et chargèrent à la baïonnette.

Les rues offraient alors un horrible spectacle. Les huées de la canaille, les cris des femmes, les plaintes des blessés, le bruit incessant de la fusillade, formaient un accompagnement étourdissant et épouvantable aux diverses scènes étalées sous les yeux à chaque bout. Là où le chemin était barré par des chaînes était aussi le fort du combat et le plus grand nombre de victimes ; mais on peut dire qu’il n’y avait pas un carrefour important où l’affaire ne fût pas chaude et sanglante.

À Holborn-Bridge, à Holborn-Hill, la confusion était plus grande que partout ailleurs : car la foule qui débordait de la Cité en deux courants impétueux, l’un par Ludgate-Hill, et