Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/240

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l’autre par Newgate-Street, se réunissait là et formait une masse si compacte, qu’à chaque décharge les gens semblaient tomber par tas. On avait posté en cet endroit un gros détachement de soldats qui tiraient tantôt du côté de Fleet-Market, tantôt du côté de Holborn, ou de Snowhill, balayant constamment les rues dans toutes les directions. Là aussi il y avait plusieurs incendies considérables, de sorte que toutes les horreurs de cette nuit terrible semblaient s’être donné rendez-vous sur ce seul et même théâtre.

Au moins vingt fois les assaillants, ayant à leur tête un homme qui brandissait une hache dans sa main droite, monté sur un gros et grand cheval de brasseur, caparaçonné avec les chaînes emportées de Newgate, dont le cliquetis accompagnait chacun de ses pas, firent une tentative pour forcer le passage et mettre le feu à la maison du négociant en vins. Au moins vingt fois ils furent repoussés avec perte, ce qui ne les empêcha pas de revenir à la charge ; et, quoique le bandit qui était à leur tête fût bien reconnaissable, et bien visible, car il n’y avait pas d’autre factieux à cheval, pas un coup ne put l’atteindre. Chaque fois que la fumée de la fusillade se dissipait, on était sûr de le trouver là, appelant ses compagnons de sa voix enrouée, brandissant toujours sa hache sur sa tête, et prenant un nouvel élan, comme s’il portait un charme qui protégeât sa vie, et qu’il fût à l’épreuve de la poudre et des balles.

C’était Hugh : c’était lui qu’on voyait se multiplier sur tous les points dans l’émeute. C’était lui qui avait dirigé deux attaques sur la Banque, qui avait aidé à renverser les barraques de péage sur le pont de Black-Friars, et en avait semé l’argent sur le pavé ; qui avait mis le feu de sa propre main à deux prisons ; qui, ici, là, partout et toujours, était à l’avant-garde, toujours en mouvement, frappant les soldats, encourageant la foule, faisant entendre la musique de fer de son cheval à travers les cris et le tapage, sans jamais être atteint ni arrêté un moment. Cerné d’un côté, il se faisait jour de vive force ailleurs ; obligé de se retirer sur ce point, il avançait sur cet autre à l’instant même. Repoussé de Holborn pour la vingtième fois, il poussait son cheval à la tête d’une grosse troupe d’insurgés droit à Saint-Paul, attaquait un poste de soldats chargés de la garde des prisonniers derrière