Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/259

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cence des temps, il alla à tâtons vers le hangar, où Hugh et Barnabé étaient assis par terre.

« Prends-moi ça, cria-t-il en passant à Hugh son flacon. Il ne coule plus maintenant que du vin et de l’or dans les ruisseaux de Londres. Les pompes mêmes ne versent plus que de l’eau-de-vie et des guinées. Prends-moi ça, et ne l’épargne pas. »

Épuisé, sale, la barbe longue, barbouillé de fumée et de suie, les cheveux emmêlés par le sang, la voix presque éteinte, et ne parlant que par chuchotements ; la peau desséchée par la fièvre, tout le corps en capilotade, couvert de plaies et de meurtrissures, Hugh eut pourtant encore la force de prendre le flacon et de le porter à ses lèvres. Il était en train de boire, quand le devant du hangar fut tout à coup obscurci par une ombre : c’était Dennis qui venait là se planter devant eux.

« Je ne vous dérange pas ? dit ce personnage d’un ton railleur, au moment où Hugh cessait de boire, pour le toiser d’un air peu agréable des pieds à la tête. Je ne vous dérange pas, camarade ? Tiens, Barnabé ici avec vous ? Comment ça va-t-il, Barnabé ? Et ces deux autres messieurs aussi ? votre serviteur très-humble, messieurs. Je ne vous dérange pas non plus, j’espère ? n’est-ce pas, camarades ? »

Malgré le ton amical et l’air confiant dont il leur tenait ce langage, on voyait qu’il éprouvait quelque hésitation à entrer, et qu’il restait volontiers dehors. Il était un peu mieux mis que de coutume : c’était toujours le même habillement noir usé jusqu’à la corde ; mais il avait autour du col une cravate d’assez mauvaise mine, d’un blanc jaune, et à ses mains des gants de peau, comme les jardiniers en portent dans l’exercice de leur état. Ses souliers étaient tout frais graissés, et décorés d’une paire de boucles d’acier rouillé ; les rosettes des genoux de sa culotte courte avaient été renouvelées, et, à défaut de boutons, il avait ses vêtements attachés avec des épingles. En somme, il avait l’air d’un recors ou d’un aide de garde du commerce, terriblement fané, mais encore jaloux de conserver les apparences de son rôle officiel, et faisant bonne mine à mauvais jeu.

« Vous êtes joliment bien ici, dit M. Dennis, tirant de sa poche un mouchoir moisi qui ressemblait plutôt à un licou en décomposition, et s’en frottant le front de toutes ses forces.