Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/258

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nous…. et elle le fit, ma foi ! dans un langage tout à fait gentil, je vous assure. Je lui conseillai, en ami, de ne pas trop compter sur une assistance aussi éloignée ; je lui recommandai d’y songer à deux fois ; je lui laissai mon adresse, en lui disant que j’étais sûr qu’elle enverrait chez moi le lendemain avant midi, et je la quittai pâmée ou faisant semblant de l’être. »

Après ce beau récit, qu’il interrompit de temps à autre pour casser et croquer à son aise quelques noix, dont il paraissait avoir sa poche pleine, l’aveugle tira d’une autre poche un flacon dont il commença par boire une gorgée, et qu’il offrit ensuite à son compagnon.

« Vous n’en voulez pas, n’est-ce pas ? dit-il en sentant que l’autre repoussait le flacon. Comme il vous plaira. Le brave gentleman qui loge là à côté de vous ne me refusera peut-être pas, lui. Eh, sacripant !

— Au nom du diable ! dit l’assassin en le retenant par la basque ; ne me direz-vous pas ce qu’il faut que je fasse ?

— Ce que vous fassiez ! Il n’y a rien de plus aisé : une petite course de deux heures, pas plus, au clair de la lune, avec le jeune gentleman, qui ne demande pas mieux ; je l’ai catéchisé en chemin, et éloignez-vous de Londres tant que vous pourrez. Vous me ferez savoir où vous êtes, et je me charge du reste. Il faudra bien qu’elle revienne : elle ne peut pas résister longtemps ; et en attendant, quant aux chances de vous voir rattraper, songez que ce n’est pas un prisonnier seulement qui s’est échappé de Newgate, il y en a trois cents. Cela ne doit-il pas vous rassurer ?

— Mais enfin, il faut que nous vivions. Comment cela ?

— Comment ! répliqua l’aveugle ; en buvant et en mangeant. Et comment boire et manger ? Il faut payer. C’est donc de l’argent qu’il faut, cria-t-il en tapant sur son gousset ; c’est de l’argent que vous voulez dire, n’est-ce pas ? Bah ! les rues en étaient pavées. Ce serait diablement dommage que ça fût déjà fini, car c’est un bien joli moment : un moment d’or, comme on n’en voit guère, pour pêcher en eau trouble dans tout ce remue-ménage. Eh ! holà ! Veux-tu boire, sacripant ? Voyons, bois. Où es-tu donc ? eh ! »

En proférant ces vociférations d’un ton tapageur qui montrait sa parfaite confiance dans le désordre général et la li-