Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/263

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— Et qui donc intéresserait-il, répliqua M. Dennis en se relevant, si ce n’est pas moi ?

— Oh ! je ne savais pas que vous aviez le cœur si tendre, dit le sergent : voilà tout.

— Le cœur si tendre ! répéta Dennis ; le cœur si tendre ! Regardez-moi cet homme-là ! Trouvez-vous ça constitutionnel ? Voyez-vous comme on l’a percé d’une balle de part en part, au lieu de l’exécuter comme un bon Anglais ? Le diable m’emporte si je sais maintenant de quel côté me retourner. Votre parti ne vaut pas mieux que l’autre. Que va devenir le pays, si le pouvoir militaire se permet de se substituer comme ça aux autorités civiles ? Qu’avez-vous fait des droits du citoyen, de cette pauvre créature, notre semblable, en le privant du privilège de m’avoir, moi, pour l’assister à ses derniers moments ? Est-ce que je n’étais pas là ? Je ne demandais pas mieux que de le servir. J’étais tout prêt. Nous voilà bien lotis, camarade, si nous faisons crier comme ça les morts contre nous, et que nous allions nous coucher tranquillement par là-dessus : c’est du propre ! »

Peut-être trouva-t-il dans son chagrin quelque consolation à garrotter les autres prisonniers ; il faut l’espérer pour lui. Dans tous les cas, la sommation qu’on lui fit de se mettre à la besogne parut le distraire, pour le moment, de ses pénibles réflexions, en donnant à ses pensées une occupation qui les flattait davantage.

On ne les emmena pas tous trois ensemble : on en fit deux escouades. Barnabé et son père allèrent d’un côté, au centre d’un peloton d’infanterie, et Hugh, bien attaché sur un cheval, suivit un autre chemin, avec une bonne escorte de cavaliers.

Ils n’eurent pas occasion d’avoir ensemble la moindre communication pendant le court intervalle qui précéda leur départ, parce qu’on eut soin de les tenir rigoureusement séparés. Hugh s’aperçut seulement que Barnabé marchait la tête basse au milieu de ses gardes, et qu’en passant devant lui il souleva doucement, en signe d’adieu, sa main chargée de chaînes, sans lever les yeux. Quant à lui, il ne perdait pas courage, tout le long du chemin, persuadé que la populace viendrait forcer sa prison, où qu’il fût, pour le mettre en liberté. Mais quand ils furent entrés dans Londres, et particu-