Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/282

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— Vous l’entendez, dit Emma ; cette nuit…. cette nuit même…. dans quelques heures…. songez y…. vous allez être au milieu de ceux qui mourraient de chagrin loin de vous, et que votre absence plonge en ce moment dans le plus profond désespoir. Vous prierez pour moi, chère enfant, comme je prierai de mon côté pour vous ; n’oubliez jamais les heures de douce paix que nous avons passées ensemble. Dites-moi : « Que Dieu vous bénisse ! » et séparons-nous avec ce souhait. »

Mais Dolly ne voulut rien dire : non, malgré tous les baisers qu’Emma déposait sur sa joue, qu’elle couvrait en même temps de ses larmes, tout ce que Dolly pouvait faire, c’était de se pendre à son col, de sangloter, de l’étreindre sans vouloir la lâcher.

« Voyons ! nous n’avons plus de temps pour tout cela, cria l’homme en lui desserrant les mains et la repoussant rudement, en même temps qu’il attirait Emma Haredale du côté de la porte. À présent, dehors, vite. Sommes-nous prêts ?

— Oui-da, cria une voix retentissante qui le fit tressaillir, tout prêts. Arrière, ou vous êtes mort. »

Et au même instant il fut jeté par terre comme un bœuf dans l’abattoir ; il fut terrassé du coup, comme si un bloc de marbre venait de se détacher du toit pour l’écraser sur la place ; puis on vit entrer à la fois une lumière éclatante et des visages rayonnants…. et Emma se sentit étreindre dans les embrassements de son oncle, et Dolly, avec un cri qui perça l’air, tomba dans les bras de son père et de sa mère.

Comme on se pâmait, comme on riait aux éclats, comme on pleurait, comme on sanglotait, comme on se souriait, comme on s’adressait une foule de questions dont on n’attendait pas la réponse, parlant tous ensemble, sans savoir ce qu’on disait dans ces transports de joie ! Et puis après, comme on s’embrassait, comme on se félicitait, comme on se serrait dans les bras les uns des autres, comme on s’abandonnait à tous les ravissements du bonheur, encore et encore et toujours ! Il n’y a pas moyen de dépeindre cette scène-là.

Enfin, après bien longtemps, le vieux serrurier, par souvenir, alla accoler bel et bien deux étrangers qui s’étaient tenus à part tout seuls devant ce tableau ; et alors qu’est-ce