Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/291

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« N’ai-je pas eu autrefois, dit Joe avec son ton de franchise un peu brusque, l’idée que je pourrais revenir riche et me marier avec vous ? Mais dans ce temps-là j’étais un enfant, et il y a longtemps que je ne suis plus si bête. Je sais bien que je ne suis qu’un pauvre soldat licencié et mutilé, trop heureux maintenant de traîner son existence comme il pourra. Pourtant, là ! vrai ! même à présent, je ne peux pas dire que ça me fera plaisir de vous voir mariée, Dolly ; mais c’est égal, je suis content…. Oui, je le suis, et je suis bien aise de l’être… en songeant que vous êtes admirée et courtisée, et que vous pouvez, quand vous voudrez, choisir à votre goût un homme pour vous rendre heureuse. C’est une consolation pour moi de savoir que vous parlerez quelquefois de moi à votre mari ; et je ne désespère pas d’en arriver un jour à l’aimer, à lui donner une bonne poignée de main, à venir vous voir quelquefois, comme un pauvre ami qui vous a connue petite fille. Que Dieu vous bénisse ! »

Sa main tremblait ; mais, avec tout ça, il sut bien la contenir, et quitta Dolly.


CHAPITRE XXXI.

La nuit de ce vendredi-là, car c’était le vendredi de la semaine des émeutes qu’Emma et Dolly furent délivrées, grâce à l’aide empressée de Joe et d’Édouard Chester, les troubles furent entièrement apaisés ; l’ordre et la tranquillité furent rétablis dans la ville épouvantée. Mais comme, en vérité, après ce qui s’était passé, personne ne pouvait dire si ce calme nouveau durerait longtemps ou si on n’était pas destiné à voir éclater tout à coup de nouveaux orages qui viendraient remplir les rues de Londres de sang et de ruines, ceux qui s’étaient dérobés par la fuite au tumulte récent se tenaient encore à distance, et bien des familles, qui n’avaient pu jusque-là se procurer les moyens de fuir, profitaient de ce mo-