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Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/335

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fort, que ceux qui étaient aux fenêtres ne pouvaient pas entendre sonner l’heure à l’horloge de l’église, quoiqu’elle fût tout près d’eux. Il est vrai qu’ils n’avaient pas besoin de l’entendre, ils pouvaient bien la voir sur le visage des gens. Il n’y avait pas plus tôt un nouveau quart de sonné, qu’il se faisait un mouvement dans la foule…. comme s’il venait de leur passer quelque chose sur la tête…. comme s’il y avait un changement subit dans la température…. et dans ce mouvement on pouvait lire le fait comme sur un cadran d’airain avec le bras d’un géant pour aiguille.

Onze heures trois quarts ! le murmure dévient étourdissant, et cependant chacun a l’air d’être muet. Regardez partout où vous voudrez dans la foule, et vous ne voyez que des yeux tendus, des lèvres serrées. L’observateur le plus vigilant aurait eu bien de la peine à vous montrer tel point ou tel autre, et à vous dire : « Tenez, c’est l’homme de là-bas qui vient de crier. » Il serait aussi facile de voir une huître remuer les lèvres dans son écaille.

Onze heures trois quarts ! Bon nombre de spectateurs, qui s’étaient retirés de leurs fenêtres, reviennent restaurés, comme si c’était l’heure juste où ils doivent reprendre leur faction. Ceux qui s’étaient endormis se réveillent, et chacun dans la foule fait un dernier effort pour se ménager une meilleure place, ce qui occasionne une presse effrayante contre les balustrades, et les fait céder et ployer sous le poids comme de simples roseaux. Les officiers, qui jusque-là s’étaient tenus en groupes, vont reprendre leurs positions respectives, et commander la manœuvre, le sabre en main : « Portez armes ! » et l’acier poli, en circulant à travers la foule, brille et s’agite au soleil comme les eaux d’un fleuve. Au milieu de cette traînée éclatante, deux hommes amènent vivement un cheval qu’on se dépêche d’atteler à la charrette qui est à la porte de la prison ; puis un profond silence remplace le tumulte qui n’avait fait jusque-là que s’accroître, et après cela un moment de calme pendant lequel tout le monde retient sa respiration. Pour le coup, chaque croisée était bouchée par les têtes étagées les unes sur les autres : les toits grouillaient de gens, qui s’attachaient aux cheminées, qui avançaient le corps par-dessus les gouttières, qui se tenaient n’importe où, au risque de se voir entraînés sur le pavé de la