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Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/336

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rue par la première tuile qui viendrait à leur manquer dans la main. La tour de l’église, le toit de l’église, le cimetière de l’église, les plombs de la prison, jusqu’aux tuyaux de descente et aux poteaux de réverbères, il n’y a pas un pouce de terrain qui ne fourmille de créatures humaines.

Au premier coup de midi, la cloche de la prison commença à tinter. Alors le tumulte, mêlé maintenant des cris de : « À bas les chapeaux ! » et de : Les pauvres diables ! » et par-ci par-là dans la foule de quelques cris et de quelques gémissements, éclata avec une force nouvelle. C’était affreux à voir (si on avait rien pu voir dans ce moment d’excitation et de terreur) tout ce pêle-mêle d’yeux avides braqués sur l’échafaud et la potence.

Le murmure sourd se faisait entendre dans la prison aussi distinctement qu’au dehors. Pendant qu’il résonnait dans l’air, on amena les trois prisonniers dans la cour : ils savaient bien ce que c’était que tout ce bruit.

« Entendez-vous ? cria Hugh, sans en éprouver aucun souci. Ils nous attendent. Je les ai entendus qui commençaient à se rassembler, quand je me suis éveillé cette nuit, et je me suis retourné de l’autre côté pour me rendormir tout de suite. Nous allons voir l’accueil qu’ils vont faire au bourreau, à présent que c’est son tour. Ha ! ha ! ha ! »

L’aumônier, qui arrivait justement en ce moment, le gronda de sa joie indécente et l’avertit de changer de conduite.

« Et pourquoi ça, notre maître ? dit Hugh. Qu’est-ce que je peux faire de mieux que de ne pas m’en désoler ? Il me semble que vous, vous ne vous en désolez pas trop non plus. Oh ! vous n’avez pas besoin de me le dire, cria-t-il au moment où l’autre allait parler, vous n’avez pas besoin de prendre vos airs tristes et solennels, je sais bien que vous ne vous en souciez guère. On dit qu’il n’y a personne comme vous dans Londres pour savoir faire une salade de homards. Ha ! ha ! je savais ça, comme vous voyez, avant de venir ici. Allez-vous en avoir une bonne, ce matin ? Avez-vous jeté un coup d’œil au déjeuner ? J’espère qu’il y en a à gogo pour toute cette compagnie affamée qui prendra place à table avec vous, quand la comédie sera finie.

— Je crains bien, fit observer le ministre en secouant la tête, que vous ne soyez incorrigible.