Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et là-dessus, marmottant, riant dans sa barbe, et remuant son index d’un air significatif, il se leva à l’aide de son bâton, et s’en alla comme un château branlant.

« Mère, dit Barnabé, quelle brave foule dont il parle là ! Allons !

— Pas pour la rejoindre, toujours, cria-t-elle.

— Si, si, répondit-il en tirant les manches de sa veste. Pourquoi pas ? Allons !

— Vous ne savez pas, dit-elle avec instance, le mal que ces gens-là peuvent faire, où ils peuvent vous conduire, ni quelles sont leurs intentions. Pour l’amour de moi….

— C’est justement pour l’amour de vous, cria-t-il en lui tapotant les mains. C’est bien cela, pour l’amour de vous, mère. Vous vous rappelez bien ce que l’aveugle nous disait de l’or. Voilà une brave foule ! Allons ! ou plutôt, attendez que je sois revenu ; attendez-moi là. »

Avec toute l’énergie de sa crainte maternelle, elle essaya, mais en vain, de le détourner de son idée. Il était baissé à boucler son soulier, quand un fiacre passa rapidement devant eux, et, de l’intérieur, une voix ordonna au cocher de s’arrêter.

« Jeune homme ! dit la voix.

— Qu’est-ce qu’on me veut ? cria Barnabé en levant les yeux.

— Est-ce que vous ne voulez pas porter cette décoration ? reprit l’étranger en lui tendant une cocarde bleue.

— Au nom du ciel, n’en faites rien ; ne la lui donnez pas, s’écria la veuve.

— Parlez pour vous, bonne femme, dit l’autre froidement. Laissez le jeune homme faire ce qu’il lui plaît. Il est assez grand pour se décider tout seul ; il n’a plus besoin de s’accrocher aux cordons de votre tablier. Il sait bien, sans que vous ayez besoin de le lui dire, s’il veut ou non porter le signe d’un fidèle Anglais. »

Barnabé, tremblant d’impatience, se mit à crier : « Oui, oui, je veux le porter. » Il avait déjà répété ce cri plus de vingt fois, quand l’homme lui jeta une cocarde en lui disant : « Dépêchez-vous de vous rendre aux Champs de Saint-Georges. » Puis il ordonna au cocher de prendre le trot et les laissa là.

Barnabé, les mains tremblantes d’émotion, était en train