Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/56

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Pardon, vous vous méprenez cruellement sur ce que j’ai voulu dire. Nous n’entendons rien à tout ce qui se passe, et nous n’avons ni l’intention ni le droit d’y prendre avec vous la moindre part. Ce jeune homme est mon fils, mon pauvre fils, infirme d’esprit, et qui m’est plus cher que la vie. Au nom du ciel, milord, allez-vous-en sans lui ; épargnez-lui la tentation de vous suivre dans quelque danger.

— Ma bonne femme, dit Gashford, comment est-il possible ? Je ne vous comprends pas. Qu’est-ce que vous nous parlez de tentation et de danger ? Est-ce que vous prenez milord pour le lion de l’Écriture, qui cherche quelqu’un à dévorer ? Que le bon Dieu vous bénisse !

— Non, non, milord ; pardonnez-moi, reprit la veuve éplorée, lui mettant les deux mains sur la poitrine, sans savoir ce qu’elle faisait ni ce qu’elle disait, dans le trouble de son ardente prière ; mais j’ai des raisons de vous supplier de céder à mes larmes, aux larmes d’une mère. Au nom du ciel ! laissez-moi mon fils. Il n’est pas dans son bon sens ; il ne sait pas ce qu’il fait, je vous le jure.

— Voyez, dit lord Georges, reculant devant les mains de la veuve et rougissant tout à coup, voyez un peu la perversité de ce siècle ! On traite de folie le zèle de ceux qui veulent servir fidèlement la bonne cause. Avez-vous bien le cœur de parler comme cela de votre propre fils, mère dénaturée ?

— Vous m’étonnez, dit Gashford à la veuve, avec une espèce de sévérité sans aigreur ; voilà un triste échantillon de la dépravation des femmes !

— Il n’en a toujours pas l’air, dit lord Georges jetant un coup d’œil sur Barnabé, et demandant tout bas à son secrétaire s’il était vrai que le gara avait l’esprit dérangé. Et, quand ce serait, nous ne devons pas nous arrêter à une bagatelle comme ce prétendu dérangement d’esprit. Qui de nous (et il rougit encore) échapperait à ce reproche, si c’était un cas d’exclusion ?

— Pas un de nous, répliqua le secrétaire. Dans un cas comme celui-ci, plus il y a de zèle, de fidélité, de bonne volonté, plus la vocation est écrite là-haut, et plus sainte est la folie. Quant à ce jeune homme, milord, ajouta-t-il en retroussant légèrement sa lèvre, pendant qu’il regardait Barnabé, qui était là debout, à tourner dans les mains son