Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/57

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chapeau, et à leur faire signe en cachette de partir, soyez sûr qu’il a toute sa raison, et qu’il est aussi sain d’esprit que pas un.

— Ah çà ! désirez-vous faire partie de la Grande Association ? dit lord Georges en s’adressant à lui ; avez-vous l’intention d’être un des nôtres ?

— Oui ! oui ! dit Barnabé, l’œil étincelant. Certainement que j’en ai l’intention. Je le lui disais à elle-même, pas plus tard que tout à l’heure.

— Je vois ce que c’est, répliqua lord Georges en jetant à la malheureuse mère un regard de reproche ; je m’en doutais. Eh bien ! vous n’avez qu’à me suivre, moi et ce gentleman, et vous allez accomplir votre désir. »

Barnabé déposa sur la joue de sa mère un tendre baiser, et lui disant d’avoir bon courage, que leur fortune était faite, il marcha derrière eux. Elle aussi, la pauvre femme, elle se mit à les suivre, en proie à une terreur et à un chagrin inexprimables.

Ils marchèrent rapidement le long de Bridge-Road, dont toutes les boutiques étaient fermées : car en voyant passer cette cohue, et dans la crainte de leur retour, les gens n’étaient pas rassurés pour leurs marchandises et les vitres de leurs fenêtres ; on pouvait apercevoir à l’étage supérieur de leurs maisons tous les habitants réunis à leurs croisées, regardant en bas dans la rue avec des visages alarmés, où se peignaient diversement l’intérêt, l’attente et l’indignation. Les uns applaudissaient, les autres sifflaient. Mais sans faire attention à des manifestations, et tout entier au bruit du vaste rassemblement voisin, qui retentissait à ses oreilles comme le mugissement de la mer, lord Georges Gordon hâta le pas et se trouva bientôt dans les Champs de Saint-Georges.

C’étaient réellement des champs à cette époque, et même très-étendus. On y voyait rassemblée une multitude immense, portant des drapeaux de toute forme et de toute grandeur, mais tous d’une couleur uniforme, tous bleus, comme les cocardes. Il y avait des pelotons qui faisaient des évolutions militaires, d’autres en ligne, en carré, en cercle. Un grand nombre des détachements qui marchaient sur le champ de parade et de ceux qui restaient stationnaires, chantaient des