Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/71

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Hugh. Quelqu’un avait jeté dans les mains de Barnabé, quand il sortit dans la rue, son précieux drapeau, qui, roulé maintenant tout autour de la hampe, avait l’air d’une canne de géant, à voir comme il la portait haute et ferme, en se tenant sur ses gardes. Si jamais homme, dans la sincérité de son âme, se crut engagé dans une juste cause, et se sentit résolu à rester fidèle à son chef jusqu’à la mort, c’était bien le pauvre Barnabé, inféodé à lord Georges Gordon.

Après avoir en vain essayé de se faire entendre, le magistrat donna l’ordre de charger, et les horse-guards se mirent à chevaucher à travers la foule, pendant qu’il galopait encore de côté et d’autre, pour exhorter le peuple à se disperser ; et, quoique les soldats reçussent des pierres assez grosses pour que quelques-uns d’entre eux fussent tout meurtris, leurs ordres ne leur permettaient que de faire prisonniers les insurgés les plus ardents, et d’écarter les autres avec le plat de leurs sabres. En voyant les chevaux venir sur elle, la foule céda sur plusieurs points, et les gardes, profitant de leur avantage, eurent bientôt nettoyé le terrain ; cependant, deux ou trois de ceux qui marchaient à l’avant-garde, et qui étaient en ce moment presque isolés des autres par la foule où ils s’étaient engagés, poussèrent droit à Hugh et à Barnabé, que sans doute on leur avait désignés comme les deux hommes qui s’étaient élancés d’en haut dans le couloir. Ils avançaient donc petit à petit, donnant aux plus mutins, sur leur route, quelques estafilades légères, qui jetaient par-ci par-là quelque blessé dans les bras de ses camarades, au milieu des gémissements et de la confusion.

À la vue de ces figures effrayées et sanglantes, qu’il aperçut un moment devant lui, avant qu’elles eussent disparu dans la foule, Barnabé devint pâle et se sentit faillir le cœur. Mais il n’en resta pas moins ferme à son poste, serrant dans son poing le drapeau, et tenant l’œil fixé sur le soldat le plus voisin, avec quelques signes de tête qu’il faisait à Hugh, en réponse aux conseils que ce mauvais génie lui soufflait à l’oreille.

Le soldat donna de l’éperon, fit reculer son cheval sur les gens qui le pressaient de tous côtés, distribuant avec son sabre quelques coups de manchette à ceux qui portaient les mains