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les rappela à ma mémoire ; mais je pensai tout à coup à mes fleurs desséchées. Elles n’étaient plus que le souvenir flétri d’un passé qui ne reviendrait jamais ; et cependant il était mieux de ne pas les conserver. J’allai prendre dans le petit salon qui séparait nos deux chambres le livre où je les avais placées. Comme je revenais chez moi, j’aperçus Éva par la porte entr’ouverte ; elle dormait, et j’allai l’embrasser. Une de mes larmes tomba sur son front, et, dans ma faiblesse, je pris les fleurs que je posai sur ses lèvres ; je pensais à l’amour qu’elle avait pour Richard. Qu’y avait-il de commun entre cet amour et mes fleurs ? Je rentrai dans ma chambre ; j’approchai de la bougie mon pauvre bouquet de roses ; et, l’instant d’après, ce n’était plus qu’un peu de cendres.

Le lendemain matin, lorsque j’entrai dans la salle à manger à l’heure du déjeuner, j’y trouvai mon tuteur, qui m’accueillit avec son visage habituel, et dont les manières, libres de toute contrainte, me mirent complétement à l’aise. Plusieurs fois, dans la matinée, je me trouvai seule avec lui, et je pensai naturellement qu’il en profiterait pour me parler de sa lettre. Cependant il n’en dit pas un mot ; le lendemain, il garda le même silence, et plusieurs jours s’écoulèrent sans qu’il parût se souvenir de ce qu’il m’avait écrit ; je me demandai avec inquiétude s’il attendait une lettre de moi en réponse à la sienne, et j’essayai de lui écrire, sans pouvoir m’exprimer comme j’aurais voulu le faire. J’attendis encore, la semaine passa, puis une autre, et nous étions toujours dans la même position. Enfin, un jour où nous devions sortir à cheval, je m’habillai bien vite et je descendis avant Éva ; M. Jarndyce était dans le salon, et regardait au dehors ; il se retourna quand j’entrai, et me sourit en disant : « Ah ! c’est vous, petite femme ! » Puis il regarda de nouveau ce qui avait attiré son attention. J’étais cette fois bien résolue à parler.

« Tuteur, lui dis-je en tremblant, quand voulez-vous avoir la réponse à la lettre que vous avez remise à Charley ?

— Quand elle sera prête, chère enfant.

— Elle l’est depuis longtemps, répondis-je.

— Est-ce Charley qui doit me la remettre ? demanda-t-il d’un air enjoué.

— Non, tuteur, c’est moi qui vous l’apporte. » Et je lui passai mes deux bras autour du cou.

« Est-ce la maîtresse de Bleak-House qui m’embrasse ? demanda-t-il encore.

— Oui, » répondis-je.

Et rien ne parut changer dans nos manières.