Page:Dickens - Bleak-House, tome 2.djvu/167

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versant, sur l’impériale de la diligence, le paysage inondé de soleil qui nous séparait de Londres, et glaçant les graines au sein de la terre à l’endroit où elle passait.

Il était impossible de ne pas dire à Éva le motif de mon voyage. Ma pauvre amie fut bien triste quand elle sut la position de Richard ; mais elle ne trouva pour lui que des paroles de tendresse et d’excuse ; et, plus aimante que jamais, elle lui écrivit une longue lettre dont elle me pria de me charger.

Mon tuteur avait désiré que Charley m’accompagnât, bien que ce fût inutile ; et le soir même, trouvant deux places dans la malle-poste du comté de Kent, nous roulions vers la mer à l’heure où d’habitude nous étions dans notre lit. C’était à cette époque, où l’on allait encore en diligence, un voyage qui durait toute la nuit ; mais nous étions seules dans la voiture, et j’étais assez préoccupée de la démarche que j’allais faire pour que la route ne me parût pas trop longue. Richard était-il dans une situation aussi désespérée que le prétendait M. Vholes ? Que lui dirais-je, et comment prendrait-il mes paroles ? Tantôt je comptais bien lui être utile ; tantôt, en y réfléchissant, je ne voyais aucun moyen de le tirer d’embarras. Je passais de l’espoir au découragement ; quelquefois je m’applaudissais de ma détermination, et, l’instant d’après, elle me semblait une folie. Bref, la nuit s’était écoulée sans que je m’en fusse aperçue, lorsque nous entrâmes dans les rues étroites de Deal par une matinée tellement brumeuse, qu’on y voyait à peine à quelques pas devant soi. La place, entourée de petites maisons irrégulièrement construites, et encombrée, en certains endroits, de cabestans, d’ateliers, de bateaux, de palans, de cordages, au milieu desquels se trouvaient de larges espaces où l’herbe couvrait la grève, offrait le plus triste aspect qu’on pût imaginer. La mer se soulevait péniblement sous l’épais brouillard qui la voilait à nos yeux ; et rien ne bougeait sur le rivage, si ce n’est quelques cordiers matineux, qui, entourés d’une ceinture de chanvre, semblaient résolus, par ennui de leur vie présente, à se filer eux-mêmes en forme de câble et de cordage, pour changer d’existence ; mais quand nous fûmes installées près d’un bon feu, dans une bonne chambre bien close, et confortablement assises devant un déjeuner appétissant, car il était trop tard pour se coucher, Deal nous parut beaucoup moins triste. Le brouillard se dissipa peu à peu, et, comme un rideau qui se lève, nous laissa voir une quantité de vaisseaux dont jusque-là nous n’avions pas le moindre soupçon. Je ne sais plus à quel chiffre se montait leur nombre suivant ce qui nous fut dit alors, mais quelques-uns me semblèrent d’une grandeur