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travailler pour elle. Et si je pouvais disposer de sa petite fortune, croyez bien que je n’en détournerais pas une obole pour conserver une carrière à laquelle je ne conviens pas, qui ne m’intéresse nullement et dont je suis dégoûté. Je ferais de son argent un bien meilleur emploi, et qui du moins promettrait un avenir plus brillant dont elle aurait sa part. Ne vous inquiétez pas ; je n’ai qu’une chose dans l’esprit, et je m’y dévouerai complétement. Je ne suis pas à bout de ressources ; une fois libre et possédant le prix de mon brevet, j’amènerai à composition les usuriers qui aujourd’hui ne veulent rien entendre et réclament à toute force le montant de leurs créances. Allons, un peu d’espoir. Vous porterez à Éva une bonne lettre qui la consolera, et soyez bien persuadée que tout ne va pas aussi mal que vous l’avez pensé. »

Je ne dirai pas quelle fut ma réponse ; elle n’offrirait aucun intérêt, car elle n’avait rien de bien remarquable ; mais elle venait du cœur. Il m’écouta patiemment, avec bonté, même avec émotion, et n’en persista pas moins dans les sentiments qu’il m’avait exprimés, et que tous mes raisonnements paraissaient au contraire fortifier de plus en plus. Mon voyage n’avait donc eu d’autre résultat que de me confirmer dans mes tristes prévisions ; et c’est avec la douleur d’avoir fait une démarche inutile que je suivais le bord de la mer avec Charley pour regagner notre hôtel. À quelques pas devant nous, la foule se pressait autour de quelques officiers de marine qui abordaient au rivage, sur une chaloupe du trois-mâts nouvellement arrivé. Ces officiers marchaient avec lenteur et causaient, le sourire aux lèvres, en regardant autour d’eux, comme s’ils avaient ressenti une joie profonde de se retrouver en Angleterre.

« Charley ! m’écriai-je tout à coup, viens vite. »

Je l’entraînai si rapidement qu’elle en fut toute surprise, car dans l’un de ces visages bronzés par le soleil, j’avais reconnu celui de M. Allan Woodcourt, et j’avais peur qu’il ne m’eût aperçue. Je ne voulais pas qu’il me vît ainsi défigurée. Toute ma force, toute ma raison m’avaient abandonnée ; et pourtant quel motif pouvais-je avoir d’éviter M. Woodcourt, et qu’importait ma laideur ou ma beauté aux relations qui existaient entre nous ?

« Esther, me dis-je, ce n’est pas là ce que vous aviez résolu. »

Et me calmant peu à peu, je finis par retrouver mon courage.

Les officiers vinrent à l’hôtel ; je les entendis parler sur l’escalier, je reconnus leurs voix, et parmi elles celle de M. Woodcourt. C’eût été un grand soulagement pour moi de revenir à