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C’était la première fois que je me promenais seule avec lui, excepté les quelques pas que nous avions faits souvent ensemble pour aller de chez Éva à l’endroit où m’attendait M. Jarndyce. Nous parlâmes tout le temps de Richard et de sa femme ; je ne le remerciai pas en paroles de ce qu’il faisait pour eux ; j’appréciais trop sa conduite pour le lui exprimer par des phrases ; mais j’espérai qu’il n’était pas sans comprendre la vive reconnaissance que j’en éprouvais.

Arrivés à la maison, nous montâmes dans le cabinet de M. Jarndyce ; mon tuteur était dehors, ainsi que mistress Woodcourt. Nous nous trouvions dans la pièce où j’avais conduit ma chère Éva toute rouge d’émotion, le jour où elle était venue dire au cousin John que Richard était l’élu de son cœur ; dans cette pièce où M. Jarndyce et moi nous les avions vus s’éloigner tous les deux environnés de lumière et dans toute la fraîcheur de leur amour et de leur espoir.

Nous étions debout auprès de la fenêtre ouverte et nous regardions dans la rue, lorsque M. Woodcourt m’adressa la parole. J’appris alors en un moment qu’il m’aimait ; que l’altération de mon visage n’existait pas pour lui ; que le sentiment que j’avais pris pour de la pitié était, au contraire, un amour dévoué, généreux, fidèle. Et il était trop tard pour l’apprendre ! cette ingrate pensée fut la première qui me revint à l’esprit : « Trop tard, trop tard ! »

« Lorsqu’à mon retour, dit-il, moi qui revenais aussi pauvre que j’étais parti, je vous retrouvai, relevant à peine de votre lit de douleur et ne songeant déjà plus qu’aux autres, sans aucune pensée pour vous-même…

— Oh ! je vous en prie, monsieur Woodcourt ; je ne mérite point ces louanges ; à l’époque dont vous parlez, j’avais au contraire bien des pensées qui n’avaient que moi pour objet.

— Dieu sait que mes éloges ne sont que la vérité ; vous ne savez pas, ô vous ma bien-aimée, tout ce que voit dans Esther Summerson chacun de ceux qui l’approchent ; combien de cœurs elle a touchés ; quelle sainte admiration, quel universel amour elle a su conquérir.

— Oh ! c’est une belle chose que de se faire aimer, une bien belle chose, m’écriai-je. Oh ! oui, j’en suis heureuse autant que fière, et vos paroles me font pleurer de joie en même temps que de douleur ; mais je ne suis pas libre, monsieur Woodcourt, et je ne peux pas songer à votre amour. »

Je proférai ces derniers mots avec courage ; car, en écoutant les louanges qu’il m’avait adressées, j’avais senti, au frémisse-