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pris la contagion et ne voit plus les choses sous leur véritable aspect ; il ne faut pas lui en vouloir.

— Mais c’est un affreux malheur !

— Vous avez bien raison ; je n’en connais pas de plus grand. Richard a été entraîné peu à peu à s’appuyer sur ce roseau dont la pourriture entraîne la chute de tout ce qui l’environne ; mais je vous le répète encore, ce n’est pas à lui qu’en est la faute, et ce n’est pas lui qui est à blâmer. »

J’exprimai néanmoins tous mes regrets de ce que sa bonté et son désintéressement avaient eu un si triste résultat.

«  Ne nous plaignons pas, dame Durden, répondit-il avec enjouement. Éva est plus heureuse qu’autrefois, et c’est beaucoup. J’avais espéré, il est vrai, devenir l’ami de ces deux jeunes gens, et conserver leur affection en dépit de cette influence maudite ; mais c’était trop demander ; l’ombre de la chancellerie a pesé de trop bonne heure sur le berceau de Richard.

— L’expérience ne lui apprendra-t-elle pas à reconnaître son erreur ?

— Désirons-le, chère fille, et surtout espérons qu’il ne sera pas trop tard ; dans tous les cas, ne soyons point trop sévères. Et comment s’étonnerait-on de ce qui arrive ? Un jeune homme, un enfant, ne peut pas supposer de pareils torts à la justice ; personne ne voudrait le croire, poursuivit mon tuteur à demi-voix et comme se parlant à lui-même ; il cherche avec ardeur à s’occuper de ses intérêts, à terminer ses affaires ; la cour le traîne de session en session, le désappointe, l’irrite, le torture, finit par user fil à fil son espoir et sa patience ; il n’en désire que plus passionnément d’arriver à son but ; et, ne rencontrant que l’abîme, l’infortuné se croit trahi de tous ceux qu’il a connus. Mais assez sur ce chapitre, et parlons d’autre chose. »

M. Jarndyce avait passé son bras autour de moi pour me soutenir ; sa tendresse m’était si précieuse que je posai ma tête sur son épaule comme s’il avait été mon père ; et, pendant les quelques instants de silence qui succédèrent à ses paroles, je pris la résolution d’aller trouver Richard dès que j’en aurais la force, afin d’essayer de le rappeler à lui-même.

«  Nous avons bien d’autres sujets à traiter, reprit mon tuteur, et surtout plus en harmonie avec l’heureux jour où ma chère fille nous est rendue. J’ai d’abord à m’acquitter d’une commission fort pressée : quand Éva pourra-t-elle vous voir ? »

Je m’étais déjà fait cette question en pensant à la disparition des glaces ; pourtant je connaissais trop bien l’amitié de ma chérie pour craindre qu’elle fût diminuée par l’altération de mon visage.