Page:Dickens - Bleak-House, tome 2.djvu/70

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— Elle est toute petite, me dit à l’oreille miss Flite en faisant par ses gestes allusion à l’intelligence de Charley, mais excessivement sagace ; et tant de clarté dans l’exposé des faits ! mon amour, elle est plus claire que pas un des avocats que j’ai entendus jusqu’ici.

— Je me rappelle bien cela, dis-je à la petite bonne ; après ?

— Eh bien ! miss, la dame a emporté le mouchoir ; et Jenny m’a dit de vous dire qu’elle ne l’aurait pas donné pour tout l’or du monde ; mais que la dame l’avait pris sans le demander et avait laissé de l’argent à la place ; Jenny ne la connaît pas du tout, mademoiselle.

— Qui ça peut-il être ? demandai-je toute pensive.

— Mon amour, me dit tout bas miss Flite en me regardant avec mystère, suivant moi (n’en parlez pas à notre petite amie), c’est la femme du grand chancelier ; vous savez qu’il est marié ; il paraît même qu’elle lui rend la vie très-dure. Elle jette les papiers de Sa Seigneurie au feu, quand milord refuse de payer le bijoutier. »

Je ne m’inquiétai pas davantage de cette dame, car l’idée m’était venue que ça devait être Caroline ; d’ailleurs mon attention fut absorbée par miss Flite qui avait froid et qui paraissait avoir faim ; il fallut en outre, au moment du dîner, l’aider à se parer d’une vieille écharpe dont elle se revêtit glorieusement ainsi que d’une paire de mitaines plus vieilles encore et mille fois raccommodées, que la pauvre miss avait apportées avec soin dans un morceau de papier ; enfin j’avais à présider le repas composé d’un poisson, d’un poulet rôti, d’un ris de veau, d’un plat de légumes, d’un pouding au madère ; et j’eus tant de plaisir à voir la jouissance qu’éprouvait miss Flite à savourer notre petit festin, et la dignité avec laquelle cette excellente créature savait y faire honneur, que je ne pensai plus à autre chose.

Quand arriva le dessert, qu’Éva nous avait préparé avec toute la recherche qu’elle avait pu y mettre, miss Flite me parut si heureuse et si en train de causer, que je pensai lui faire plaisir en l’amenant à raconter son histoire, l’excellente fille aimant en général à parler un peu d’elle. Je commençai donc par lui demander s’il y avait longtemps qu’elle suivait les audiences de la Cour.

«  Oh ! bien des années, ma chère, bien des années. Mais j’attends un jugement qui ne saurait plus tarder. »

L’inquiétude qu’elle témoignait en exprimant cet espoir me fit craindre d’avoir eu tort de la mettre sur ce chapitre ; j’aurais