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mée, de ses triomphes. J’enviais le sort des infortunés qui s’étaient agenouillés pour le bénir. Je me serais volontiers mise à genoux moi-même pour le remercier d’être si bon et si brave ; et je sentais que ni mère, ni sœur,… ni épouse, ne pouvaient l’honorer plus que moi. Miss Flite me laissa le compte rendu que j’avais essayé de lire, et quand, vers la chute du jour, elle se leva pour retourner à Londres, elle était plus que jamais sous l’impression de ce naufrage, et moi je n’étais pas encore rassasiée d’en avoir entendu répéter tous les détails.

«  Ma chère, me dit-elle en pliant sa vieille écharpe et en enveloppant ses mitaines avec soin, mon brave docteur doit être fait comte ou baron, et certainement il le sera ; n’êtes-vous pas de cet avis ?

— Qu’il l’a bien mérité, oui ; mais qu’il le sera, non.

— Et pourquoi pas, Fitz-Jarndyce ? me demanda-t-elle avec une certaine vivacité.

— Parce que, lui répondis-je, ce n’est pas l’usage en Angleterre de conférer des titres aux hommes qui se distinguent par des services civils, quels que soient le mérite et le dévouement qu’ils aient montrés d’ailleurs, excepté pourtant dans le cas où ils ont eu le mérite de faire une fortune considérable.

— Miséricorde ! reprit-elle, comment pouvez-vous dire ça, Fitz-Jarndyce ; quand vous savez au contraire que tous ceux qui font la gloire et l’ornement de la Grande-Bretagne en s’illustrant dans les sciences, la littérature, la poésie et les arts, ou en se faisant un nom par leur humanité, sont immédiatement incorporés à la noblesse ; regardez autour de vous, ma chère, et voyez ! il faut que votre raison soit dérangée, si vous ne comprenez pas que c’est pour honorer ce genre de gloire que les titres se sont conservés en Angleterre. »

Elle était convaincue de ce qu’elle disait, car, par instants, elle était vraiment folle.

Et maintenant, il faut que j’avoue le secret que j’ai si longtemps essayé de garder. J’avais cru voir quelquefois que M. Woodcourt m’aimait, que, s’il avait été riche, il m’aurait confié ses sentiments avant de partir, et je pensais alors que s’il me l’avait dit, j’en aurais été bien heureuse ; mais combien je me réjouissais aujourd’hui de ce qu’il n’en était rien ; combien j’aurais souffert d’avoir à lui écrire le changement survenu dans ce visage qui avait eu pour lui quelque charme, et de lui rendre la parole qu’il avait donnée à celle qui n’était plus !

Certes, il valait bien mieux qu’il n’eût jamais parlé. Je pouvais, au fond de mon cœur, redire ma prière enfantine et aspirer