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larmes que je versai furent exemptes d’amertume ; et je pus arranger mes cheveux pour la nuit en élevant vers le ciel un cœur reconnaissant.

Quelque chose me troublait néanmoins, et j’y pensai longtemps avant de pouvoir dormir ; j’avais gardé les fleurs qui me venaient de M. Woodcourt. Je les avais fait sécher et je les avais mises dans un livre que j’aimais. Personne ne l’avait su, pas même Éva. Je me demandais si j’avais le droit de conserver ces fleurs qu’il avait envoyées à une autre. Je désirais sincèrement n’avoir rien à me reprocher envers lui, même dans le secret de mon cœur, parce que je sentais que j’aurais pu l’aimer avec un dévouement sans bornes. Je conclus enfin que je pouvais garder ces roses desséchées, si je les considérais seulement comme souvenir d’un passé qui ne reviendrait jamais. J’espère que tout cela ne paraîtra pas frivole ; j’étais si sérieuse et si émue en y pensant.

J’eus soin le lendemain matin de me lever de bonne heure et d’être assise devant la glace quand Charley entra dans ma chambre sur la pointe du pied.

«  Mon Dieu ! s’écria-t-elle en tressaillant, vous êtes levée, miss ?

— Oui, Charley, répondis-je avec calme en finissant de me coiffer ; je me porte à merveille et je me sens fort heureuse. »

Je vis aussitôt que j’avais délivré son esprit d’un grand poids ; celui que j’avais enlevé du mien était plus grand encore. Maintenant que je connaissais le mal dans toute son étendue, j’y étais résignée ; je ne cacherai pas, en continuant ce récit, les faiblesses que j’ai eu quelquefois de la peine à surmonter ; mais je suis toujours parvenue à les vaincre, et je n’ai jamais perdu la sérénité de mon esprit.

Ayant le plus vif désir d’être complétement rétablie avant l’arrivée d’Éva, je formai le projet de rester dehors le plus longtemps possible, et nous arrangeâmes nos journées en conséquence. Nous sortions avant le déjeuner, Charley et moi ; nous dînions à midi pour ressortir ensuite ; nous nous promenions dans le jardin quand nous avions pris le thé, et nous nous couchions de bonne heure après nous être promis, pour les jours suivants, de gravir toutes les collines et d’explorer tous les bois du voisinage. Quant aux fortifiants de toute nature, l’excellente femme qui servait de gouvernante à M. Boythorn arrivait continuellement, apportant quelque chose à boire et à manger ; à peine étais-je assise dans le parc ou ailleurs, qu’on l’apercevait, toujours un panier à la main, et qu’on lisait sur sa figure l’im-