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la terrasse du château, surnommée le promenoir du Revenant ; et la légende, que m’avait racontée M. Boythorn, jetait pour moi sur le paysage un intérêt mystérieux qui en augmentait la beauté ; des violettes sans nombre croissaient alentour, et, comme l’un des plus grands plaisirs de Charley était de cueillir des fleurs sauvages, elle partagea bientôt la prédilection que j’avais pour cet endroit.

Je m’y étais arrêtée, comme d’habitude, après une longue course, pendant que Charley cueillait des violettes à une certaine distance. J’avais regardé longtemps la terrasse en pensant au spectre qui revenait, disait-on, avertir les propriétaires du château quand un malheur menaçait la famille, lorsqu’à travers les arbres je crus apercevoir une ombre qui se dirigeait vers moi ; la ramée était si touffue, la feuillée si épaisse, que je fus quelques instants avant de reconnaître lady Dedlock. Elle était seule et marchait avec une précipitation qui ne lui était pas habituelle. Je voulus me lever et continuer ma promenade, elle étendit les bras et je ne pus pas bouger ; quelque chose me retenait à ma place : non pas son geste suppliant, mais un je ne sais quoi dans ses traits, dont j’avais rêvé quand j’étais toute petite, que j’avais désiré de toute mon âme et que je n’avais jamais vu sur une autre figure ; je me sentis défaillir et j’appelai Charley ; milady s’arrêta, et reprenant aussitôt sa physionomie ordinaire :

«  Je crains de vous avoir effrayée, me dit-elle en continuant d’avancer, mais lentement ; vous n’êtes pas encore bien forte ; j’ai su que vous aviez été malade, et j’ai pris une part bien vive à vos souffrances. »

Elle me tendit sa main, dont le froid mortel qui contrastait d’une manière effrayante avec le calme de ses traits, augmenta la fascination qu’elle exerçait sur moi.

«  Commencez-vous à vous remettre ? me demanda-t-elle avec bonté.

— Il n’y a qu’un moment je me portais à merveille, lui répondis-je.

— Cette jeune fille n’est-elle pas à votre service ?

— Oui, milady.

— Voudriez-vous l’envoyer en avant et me permettre de vous accompagner pendant quelques instants ?

— Charley, prends tes violettes, dis-je aussitôt, et retourne à la maison ; je t’y rejoindrai tout à l’heure. »

Quand Charley fut partie, lady Dedlock vint s’asseoir à côté de moi, et rien ne saurait dire ce que j’éprouvai en reconnaissant entre ses mains le mouchoir dont j’avais recouvert le petit