Page:Dickens - Bleak-House, tome 2.djvu/86

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jointe à celle d’Éva : une bonne lettre où il me priait de dire à dame Durden, si je la rencontrais par hasard, que tout manquait à Bleak-House, quand elle n’y était pas ; que le désordre était partout et la gaieté nulle part ; qu’enfin la maison n’était plus la même ; que tout le monde s’en plaignait et qu’on parlait de se révolter si dame Durden ne revenait pas bien vite. N’étais-je pas plus aimée, plus heureuse que je ne le méritais ? Je repassai dans mon esprit tout ce qui m’était arrivé depuis mon enfance, et je retrouvai toute ma sérénité. Je voyais bien que, si Dieu avait voulu ma mort, je ne serais pas vivante aujourd’hui, je ne jouirais pas du bonheur auquel il semblait au contraire m’avoir destinée ? Que de choses s’étaient réunies pour concourir à mon bien-être ! et, si les fautes des pères retombent quelquefois sur les enfants, ce n’était pas dans le cas où je me trouvais placée. Je me sentais innocente de mon origine, autant qu’une reine de la sienne ; et je comprenais que Dieu ne me punirait pas plus du malheur de ma naissance qu’il ne récompenserait une princesse d’être la fille des rois. Je renouvelai mes bonnes résolutions, je demandai à mon Père céleste de m’y affermir ; et, versant tout mon cœur dans ma prière, je sentis peu à peu ma tristesse se dissiper ; rien ne troubla mon sommeil ; et le lendemain, quand je m’éveillai, pas un nuage n’assombrissait ma pensée.

Ma chère fille devait arriver le soir à cinq heures ; nous ne pouvions pas mieux employer notre temps, d’ici là, qu’à faire une longue promenade sur la route qu’elle devait prendre. Nous fîmes donc seller Têtu, car nous ne l’avions plus remis à la voiture depuis le fameux jour où il m’avait fallu revenir à pied en tête de notre petit convoi, et nous partîmes pour notre expédition. Au retour, nous passâmes une grande revue de la maison et du jardin, où tout nous sembla dans un ordre parfait, et nous sortîmes l’oiseau de sa cage, pour qu’il pût faire à l’arrivante les honneurs du logis. Nous n’avions plus que deux heures à passer ; j’avoue que, pendant ces deux heures, qui me parurent mortellement longues, je fus prise d’une inquiétude nerveuse en pensant à l’altération de mon visage. Quel effet produirait-il sur Éva ? l’y avait-on préparée ? s’attendait-elle à un changement aussi grand ? n’aurait-il pas mieux valu l’y habituer peu à peu ? et cent autres questions qui se pressaient dans ma tête. J’étais bien sûre de voir immédiatement dans son regard si limpide et si franc l’impression qu’elle ressentirait en me voyant ; pouvais-je répondre de celle que j’en éprouverais à mon tour ? Dans tous les cas, l’attente et l’inaction n’étaient pas