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que ces mots : « Jenny ! Jenny ! » Tout le reste était dans la manière dont elle les prononçait. Rien n’était plus touchant que de voir ces deux femmes battues et misérables, si étroitement unies, éprouver l’une pour l’autre une sympathie si vive et se soutenir mutuellement ; de sentir que les rudes épreuves de leur cruelle existence avaient attendri leur cœur et les faisaient s’entr’aider et s’aimer. Le bon côté de ces malheureux, pensai-je, nous est toujours caché. Tout le monde ignore ce que le pauvre est pour le pauvre, excepté lui et Dieu.

Nous jugeâmes plus convenable de ne pas les interrompre et de nous retirer sans bruit. Personne ne remarqua notre départ, si ce n’est le briquetier, qui, appuyé contre le mur, se dérangea pour nous laisser passer. Nous l’en remerciâmes ; mais il ne voulut pas avoir l’air de l’avoir fait avec cette intention et ne nous répondit pas.

Éva était si désolée de ce que nous avions vu, et Richard, que nous trouvâmes en rentrant, fut si triste de la voir pleurer (bien qu’il m’avouât que les larmes l’embellissaient encore), que nous fîmes le projet de retourner le soir chez la pauvre Jenny et de lui porter diverses choses.

Quant à M. Jarndyce, il avait suffi de lui en dire un seul mot pour que le vent changeât immédiatement.

Le soir venu, Richard nous accompagna jusqu’où nous devions aller. Sur la route se trouvait un cabaret où beaucoup d’hommes étaient rassemblés devant la porte ; et, parmi ces hommes, le briquetier dont l’enfant venait de mourir se querellait bruyamment. Un peu plus loin, nous rencontrâmes son fils aîné avec son chien ; quant à sa fille, elle riait et causait avec d’autres jeunes femmes ; mais elle parut confuse en nous apercevant, et se détourna quand nous passâmes près d’elle.

Richard nous quitta lorsque nous fûmes arrivées près de la maison de Jenny. La pauvre femme que nous y avions laissée y était toujours et regardait au dehors avec anxiété.

« Est-ce vous, bonnes demoiselles ? nous demanda-t-elle tout bas. J’suis là, guettant not’ maît’, et j’en suis toute tremblante, car il m’assommerait de coups s’il venait à me trouver ailleurs qu’à la maison.

— Votre mari ? lui demandai-je.

— Oui, mademoiselle, not’ maît’. Jenny dort ; elle a eu tant de peine avec son pauv’ petit, qu’elle en est épuisée ; elle l’a gardé sept jours et sept nuits sur ses genoux sans vouloir le quitter, si c’ n’est lorsque j’ pouvais le lui prendre pour une minute ou deux. »