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Toutefois M. Jarndyce ne fit pas la plus légère allusion à la girouette, et nous pensâmes que c’était de bon augure.

«  Mais ce n’est pas de l’extérieur que je parle, poursuivit mon tuteur, c’est du moral de l’homme, de son caractère emporté que je vous signale, Rick, Éva, et vous aussi, petite femme, car vous y êtes tous intéressés. Le langage de Boythorn est aussi violent que sa parole est sonore ; toujours dans les extrêmes et au superlatif, on le prendrait pour un ogre, et je crois qu’il passe pour tel dans l’esprit de certaines gens. Vous ne serez pas étonnés de le voir me prendre sous sa protection, car il n’a pas oublié qu’en pension, où j’étais tout enfant, il cassa deux dents (il vous en dira six) à l’un de mes oppresseurs, et que c’est ainsi que notre amitié commença. Dame Durden, Boythorn et son domestique arriveront cette après-midi à Bleak-House. »

Je veillai aux préparatifs nécessaires pour que rien ne manquât à la réception de notre hôte, et nous attendîmes M. Boythorn avec curiosité. L’après-midi était passée, la journée s’avançait, il n’avait pas paru ; le dîner avait été retardé d’une heure, et nous attendions toujours, assis autour de la cheminée, sans autre lumière que la lueur du foyer, quand ces paroles, prononcées d’une voix de stentor, retentirent dans l’antichambre :

«  Nous avons été trompés, Jarndyce, par un damné coquin, un misérable, qui nous a fait tourner à droite au lieu de nous dire de prendre à gauche, le triple scélérat ; il faut que son père ait été un bien affreux vaurien pour avoir un tel fils ; je te le déclare, Jarndyce, je serais heureux de lui fracasser la tête.

— Penses-tu qu’il l’ait fait exprès ? lui demanda mon tuteur.

— Je n’en ai pas le moindre doute ; c’est un coquin qui doit passer sa vie à égarer les voyageurs ; sur mon âme, je n’ai jamais vu de plus mauvais air que le sien quand il m’a dit de tourner à droite ; et penser que je me suis trouvé face à face avec un tel scélérat sans lui faire sauter la cervelle !

— Passe encore pour les dents, » reprit M. Jarndyce.

M. Boythorn éclata de rire et tout vibra dans la maison.

«  Tu n’as pas oublié ça ! poursuivit-il ; ah ! ah ! ah ! quand j’y pense ; encore un fameux coquin. La physionomie de ce garçon-là, quand il était enfant, exprimait assez de cruauté, de noire perfidie et de bassesse pour servir d’épouvantail dans un régiment de scélérats. Si je rencontrais demain dans la rue cet abominable despote, je l’abattrais sans façon comme un arbre pourri.