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Page:Dickens - Bleak-House, tome premier.pdf/111

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Et lorsqu’il eut renoncé au don qu’il voulait faire, après avoir fini par comprendre que ce sacrifice n’eût produit aucun bien :

«  Voyons, disait-il, j’ai économisé cinq livres sur l’affaire du briquetier. Si donc je puis faire un voyage à Londres, prendre la poste pour aller et revenir sans qu’il m’en coûte plus de quatre livres, j’en aurai une d’économisée, et l’économie est toujours une bonne chose ; un penny qu’on épargne est un penny gagné. »

Je ne crois pas qu’on pût voir une nature plus généreuse et plus ouverte que celle de Richard ; au bout de quelques semaines, je le connaissais aussi bien que s’il eût été mon frère, ardent et brave, et d’une activité dévorante, il n’en était pas moins d’une excessive douceur qui, sous l’influence d’Éva, en faisait le plus agréable de tous les compagnons, s’intéressant à toute chose, et si heureux, si confiant, si gai !

Et moi qui les voyais s’adorer de plus en plus, sans en rien dire, chacun d’eux supposant que son amour était le plus grand des secrets, que ne soupçonnait pas même la personne adorée ; moi qui ne les quittais jamais, causant et me promenant avec eux, je n’étais guère moins enchantée, guère moins ravie qu’eux-mêmes de leur délicieux rêve.

Nous vivions ainsi, lorsqu’un matin à déjeuner M. Jarndyce reçut une lettre qu’il ouvrit, en s’écriant :

«  C’est de Boythorn. »

Il la parcourut avec une joie évidente, et s’arrêta au milieu de sa lecture pour nous dire que M. Boythorn venait à Bleak-House.

«  Nous étions ensemble au collège, il y a de cela quarante-cinq ans au moins, continua t-il en frappant sur sa lettre, qu’il posa sur la table. Lawrence Boythorn était le garçon le plus impétueux qui fût au monde, et il est resté le plus vif de tous les hommes que je connaisse. C’était l’enfant le plus robuste, le plus audacieux qu’on pût voir, et il est aujourd’hui tout ce qu’il était alors, plein de cœur, mais terriblement effrayant.

— Au physique, monsieur ? demanda Richard.

— Mais un peu sous ce rapport, répondit M. Jarndyce ; il porte la tête en arrière comme un vieux soldat ; j’ai dix ans de moins que lui, mais il a deux pouces de plus que moi, des mains de forgeron, une vaste poitrine et des poumons !… je n’en connais pas de semblables. Il suffit qu’il parle, qu’il vienne à rire ou à ronfler pour que les poutres de la maison s’ébranlent. »