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BLEAK-HOUSE

adroitement éclipsé. Chacun disparaît à son tour ; sacs bleus et monceaux de liasses de toutes nuances sont emportés par les clercs ; la petite femme, vieille et folle, quitte la salle avec ses documents ; la cour est vide, on en ferme la porte. Que ne peut-on y enfermer en même temps les injustices qu’on y a commises, les ruines, les misères qui en résultent, et, approchant la flamme de ce bûcher monstrueux, anéantir toutes ces douleurs et ces iniquités !


CHAPITRE II.

Coup d’œil sur le grand monde.

Vers la fin de ce jour froid et brumeux il est nécessaire que nous jetions un coup d’œil sur le monde fashionable. Il a d’ailleurs assez de ressemblance avec la haute cour pour que nous puissions passer à vol d’oiseau d’une scène à l’autre.

Comme la chancellerie, la fashion n’a de principes que l’usage et les antécédents. Monde étroit, même relativement à celui où nous sommes, peuplé, comme la haute cour, de Rip van Winkles[1] dont l’orage n’interrompt pas le sommeil, et de Belles au Bois dormant qui s’éveilleront à l’heure où les broches, arrêtées lorsqu’elles fermèrent les yeux, tourneront avec une vitesse prodigieuse ; point imperceptible sur la terre où il occupe une place déterminée, il renferme beaucoup de bien dans son étroite enceinte et les natures loyales et généreuses ne sont pas rares parmi ceux qui l’habitent. Malheureusement il est, comme les joyaux précieux, trop enveloppé de coton pour entendre le bruit qui s’élève des autres sphères et ne se doute pas de la révolution qu’elles accomplissent autour du soleil ; c’est comme un monde amorti qui étouffe et s’étiole faute d’air.

Milady Dedlock est de retour à Londres ; elle y restera quelques jours, en attendant qu’elle parte pour Paris, où elle a l’intention de passer quelques semaines ; après quoi ses projets sont incertains. C’est du moins ce que l’on trouve dans le cour-

  1. Personnage d’un conte de Washington Irving, qui dormit pendant tout le temps de la guerre de l’Indépendance et ne s’éveilla qu’après la constitution des États-Unis. (Note du trad.)