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BLEAK-HOUSE

la placer dans l’un des premiers pensionnats d’Angleterre, où, ses besoins étant prévenus et son confort assuré, elle recevra une éducation qui lui permettra d’occuper dans le monde la position à laquelle il a plu, dois-je dire, à la Providence de l’appeler. »

Je fus tellement émue de ces paroles et de la manière touchante dont elles étaient prononcées, que je ne pus rien répondre, malgré tous mes efforts.

« M. Jarndyce, continua M. Kenge, ne met à ses bontés d’autres conditions que celles-ci, à savoir que notre jeune amie ne s’éloignera pas de l’établissement susmentionné sans sa permission et son concours ; qu’elle s’appliquera sérieusement à acquérir l’instruction et les talents qui seront plus tard ses moyens d’existence ; qu’elle marchera toujours dans le sentier de la vertu et de l’honneur, etc., etc. »

Je me sentais moins que jamais en état de lui répondre.

« Et que dit à cela notre jeune amie ? ajouta M. Kenge. Prenez le temps de réfléchir ; ne vous pressez pas. J’attends votre acceptation ou votre refus ; mais ne vous hâtez nullement. »

Il est inutile de répéter ce que répondit la malheureuse enfant à qui l’on faisait cette offre généreuse ; et nulle parole au monde n’exprimerait la gratitude qu’elle en ressentit alors, et qu’elle en conservera jusqu’à sa dernière heure.

Cette entrevue de M. Kenge avait lieu à Windsor, où s’était passée toute ma vie, du moins depuis l’époque à laquelle remontaient mes souvenirs ; et, huit jours après, amplement pourvue de tout ce qui m’était nécessaire, je quittai cette ville pour monter dans l’intérieur de la diligence, qui me conduisit à Reading.

Mistress Rachaël était trop parfaite pour éprouver la moindre émotion de mon départ ; quant à moi, je fondis en larmes d’autant plus amères, qu’après tant d’années passées auprès d’elle, j’aurais dû lui avoir inspiré assez d’intérêt pour que notre séparation lui fît quelque chagrin ; et, lorsque son baiser d’adieu s’imprima sur mon front, aussi froid que la goutte d’eau glacée qui tombait de l’auvent du porche (car nous étions en hiver), je me sentis si misérable et j’éprouvai tant de remords, que je me jetai dans ses bras en lui disant que c’était ma faute si elle pouvait me quitter sans regret et me dire adieu sans pleurer.

« Non, me répondit-elle ; ce n’est pas votre faute, Esther, mais celle de votre malheur. »

Elle me quitta sans attendre que mes bagages fussent chargés sur la diligence, et rentra, fermant la porte derrière elle. Tant que je pus distinguer la maison, je me retournai pour la regar-