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— Toutes sortes de gens, monsieur ; depuis des gentlemen jusqu’à des apprentis, des Anglais, des étrangers, n’importe qui. J’ai eu des Françaises qui tiraient le pistolet de main de maître ; j’ai eu des fous… mais ces gens-là entrent partout quand la porte est ouverte.

— J’espère, dit mon tuteur en souriant, qu’on ne va pas chez vous avec l’intention de se servir de cible à soi-même ?

— Ça n’arrive pas souvent, monsieur ; mais cependant ça s’est vu. Toutefois ceux qui viennent à la galerie c’est par oisiveté ou pour exercer leur adresse ; moitié l’un, moitié l’autre. Mais ne plaidez-vous pas en chancellerie, monsieur ? Je crois l’avoir entendu dire ?

— C’est malheureusement vrai, dit mon tuteur.

— J’ai eu autrefois au tir un de vos compatriotes, monsieur.

— Un plaideur à la cour ? et comment cela ? demanda M. Jarndyce.

— Le pauvre homme était si malmené, on l’avait tant de fois renvoyé de Caïphe à Pilate et de Pilate à Caïphe, qu’il en avait presque perdu la raison. Je ne crois pas qu’il ait jamais eu l’intention de tuer quelqu’un ; mais il était dans un tel état d’exaspération qu’il venait à la galerie, et, le visage tout en feu, tirait jusqu’à cinquante fois de suite. Un jour que nous étions seuls et qu’il m’avait parlé avec colère de tous les torts dont il avait à se plaindre : « : Camarade, lui répondis-je, l’exercice du pistolet n’est peut-être pour vous qu’une soupape de sûreté, je ne dis pas non ; mais je n’aime point à vous voir si passionné pour le tir dans la situation où vous êtes. Croyez-moi, occupez-vous d’autre chose. » Je m’étais mis sur mes gardes, le sachant fort emporté ; mais il prit au contraire mon avis en bonne part, jeta son pistolet, me donna une poignée de main, et depuis lors il y a toujours eu entre nous une sorte d’amitié.

— Quel homme était-ce ? demanda M. Jardnyce d’un ton plein d’intérêt.

— Avant qu’on l’eût mis en fureur comme un taureau poursuivi par les chiens, il était fermier dans le Shrospshire, répondit M. Georges.

— Gridley, n’est-ce pas ?

— Oui, monsieur. »

Nous échangeâmes quelques mots de surprise, mon tuteur et moi, au sujet de cette singulière coïncidence, et j’expliquai à M. Georges, qui pendant ce temps-là m’avait regardé plusieurs fois, comment nous avions connu M. Gridley, ce qui me valut de sa part un beau salut militaire pour me remercier de l’expli-