Page:Dickens - Bleak-House, tome premier.pdf/350

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Voyez-vous, commandant, j’connais pas autre chose, et j’suis peut-être trop âgé pour aimer les nouveautés.

— Quel âge as-tu ? demande l’ancien militaire en portant à ses lèvres sa soucoupe fumante.

— J’ai un âge qu’y a un huit dedans ; c’est pas quatre-vingt-huit, ni dix-huit ; c’est entre les deux. »

M. Georges remet sa soucoupe sur la table sans y avoir goûté. « Que diable ! » dit-il en riant.

Mais il s’arrête pour ne pas troubler Phil, qui est en train de compter sur ses doigts.

«  Suivant le calcul de la paroisse, dit celui-ci, j’avais juste huit ans quand j’ai parti avec le chaudronnier. On m’avait envoyé en commission et je le vois qu’était assis sous un vieux bâtiment, auprès d’un bon feu, et qui me dit : « Ça te plairait-y d’t’en venir avec moi ? j’ai besoin d’un garçon. » Je dis oui que j’réponds ; et nous v’là partis ensemble pour chez lui à Clerkenwell ; c’était le premier avril ; je savais compter jusqu’à dix ; alors quand c’est que le premier avril a été de retour, j’me dis comme ça : « Mon camarade, t’as huit ans et pis un autre avec ; » le premier avril d’après, j’me dis encore : « T’as huit ans et pis deux avec ; » enfin, j’ai arrivé par la suite à en avoir dix en plus que huit ; et pis huit avec deux fois dix ; mais arrivé là, c’était trop haut pour moi, je n’ai pu compter ; seulement j’suis sûr qu’il y a un huit dedans.

— Et qu’est devenu le chaudronnier ? dit M. Georges en reprenant son café.

— La boisson l’a mis à l’hôpital, governeur, et l’hôpital… l’a fourré dans un grand étui à lorgnette ; j’l’ai entendu dire, ajoute Phil mystérieusement.

— Et tu as monté en grade, tu as pris la suite de ses affaires ?

— Oui, commandant, j’ai pris la suite de ses affaires ; la tournée n’était pas forte, Saffron-hill, Hatton-garden, Clerkenwell, Smithffield ; un pauvre voisinage où c’qui zusent tant leu chaudrons qui n’sont pus raccommodables. Avec ça, les chaudronniers ambulants qui venaient loger cheu nous du temps d’mon maître (c’était le pus clair de son gain) n’vinrent pas loger cheu moi ; c’était pas la même chose. I’ savait de bonnes chansons et moi j’en savais pas. I’ leu jouait des petits airs sur n’importe quel pot soit en fer ou en étain ; et j’n’ai jamais pu rin faire d’une marmite que d’la raccommoder ou ben d’la faire bouillir, mais pas une note de musique ; et pis j’étais trop laid, et j’déplaisais à leu femmes.