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Page:Dickens - Bleak-House, tome premier.pdf/53

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BLEAK-HOUSE

tentez-la, c’est l’affaire d’une minute ; passez par la boutique si l’autre porte ne va pas, » nous nous laissâmes persuader, encouragées par Richard et comptant sur la protection qu’au besoin il saurait nous donner.

« Krook, mon propriétaire, dit la petite vieille en daignant condescendre jusqu’à nous le présenter ; il est connu dans le voisinage sous le nom de lord Chancelier, et sa boutique y est appelée la Cour de chancellerie ; c’est un homme original, tout à fait excentrique. » Elle hocha la tête en se frappant le front d’une manière significative, et nous pria d’être indulgents pour lui, « car il est un peu…. vous savez…. un peu fou…. » ajouta-t-elle avec une profonde dignité. Le vieillard l’entendit et se mit à ricaner.

« C’est pourtant vrai qu’ils m’appellent lord Chancelier, dit-il en passant devant nous avec sa lanterne, et qu’ils ont donné à ma boutique le nom de Chancellerie ; savez-vous pourquoi ?

— Assurément non, répondit Richard avec indifférence.

— Voyez-vous, reprit le vieillard, hi ! hi ! … quelle jolie chevelure ! j’en ai trois grands sacs dans ma cave, rien que de cheveux de femme, et pas une mèche aussi belle que celle-ci ; quelle couleur ! quelle finesse !

— Assez, mon brave, assez ! dit Richard révolté de voir l’affreux regrattier toucher de sa main jaune l’une des nattes de miss Clare ; vous pouvez les admirer, ainsi que nous le faisons tous, sans vous permettre une telle licence. »

Krook lança un regard rapide sur le jeune homme. Éva, toute tremblante et dont la beauté miraculeuse semblait fixer même l’attention de la petite vieille, dit en rougissant qu’elle ne pouvait que s’enorgueillir de cette preuve d’admiration ingénue, et le vieillard reprit, aussi vite qu’il l’avait quittée, la physionomie qui semblait lui être habituelle.

« Voyez-vous, dit-il, j’ai ici tant de choses de tant d’espèces, que les voisins qui s’imaginent (est-ce qu’ils savent ?) que tout ça n’est bon à rien, dépérit et s’en va, que ce n’est que ruine et désordre, nous ont rebaptisés mon magasin et moi. Et comme j’ai dans mon fonds de commerce tant de vieux parchemins et de vieilles paperasses, que j’ai du goût pour la rouille, la moisissure et les toiles d’araignée ; que je fais argent de tout ; que je n’aime pas à lâcher ce que j’agrippe, ni à changer quoi que ce soit, ni à balayer, à nettoyer, à fourbir non plus qu’à réparer tout ce qui m’entoure, c’est pour cela qu’ils m’ont donné ce sobriquet et m’appellent Chancelier. Cela m’est égal. Je vais tous les jours voir siéger mon confrère. Il ne me remarque pas ;