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BLEAK-HOUSE

sans nous rien dire, une porte sombre qui s’ouvrait sur le palier.

« Le seul locataire qui habite cette maison avec moi, continua-t-elle, est un copiste qui fait de la grosse. Les enfants du voisinage disent qu’il a vendu son âme au diable. Je ne sais pas ce qu’il a fait du prix qu’on lui en a donné. Chut ! »

Et, craignant sans doute que le locataire pût l’entendre, elle répéta : « Chut ! » et marcha sur la pointe du pied, comme si le bruit de ses pas avait pu révéler ses paroles.

Quand nous traversâmes la boutique, ainsi que nous l’avions fait en arrivant, le vieux Krook était en train d’emmagasiner de nombreux ballots de papier déchiré, qu’il fourrait dans une espèce de puits béant au milieu du plancher. La sueur couvrait son front, tant il mettait d’activité à cette besogne, et, à chaque ballot qu’il enfonçait dans la trappe, il faisait une croix sur la muraille avec un morceau de craie. Richard, Éva, miss Jellyby et la petite vieille étaient déjà passés, quand, m’arrêtant par le bras, il traça un J sur le mur, en commençant par la fin de la lettre et en la terminant à rebours. C’était une majuscule en ronde, telle que l’eût faite un clerc de Kenge et Carboy.

« Pouvez-vous lire ? me demanda-t-il en me jetant un regard perçant.

— Très-bien.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Un J. »

Il me regarda de nouveau, lança un coup d’œil vers la porte, effaça la lettre qu’il avait faite, et la remplaça par un a (cette fois une petite lettre), et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il eût formé successivement toutes celles qui composent le mot Jarndyce.

« Qu’avez-vous lu ? » me demanda-t-il.

Je le lui dis. Il se mit à rire, et traça, toujours de la même façon et les unes après les autres, les lettres qui forment Bleak-House.

« Hi ! dit-il en posant son morceau de craie. Je ne sais ni lire ni écrire, mais j’ai toujours eu des dispositions pour retracer de mémoire les signes qui m’ont frappé. »

Sa physionomie avait quelque chose de si désagréable, et sa chatte me regardait avec un air si méchant, que je me sentis soulagée quand Richard, étant revenu sur ses pas, apparut à la porte en disant :

« J’espère, miss Summerson, que vous n’êtes pas en marché pour vendre votre chevelure. Ne vous laissez pas tenter ; M. Krook en a déjà trois sacs, et c’est bien suffisant. »