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BLEAK-HOUSE

persés, que je retrouvai le pendant du frère d’un jeune officier de mes amis dans le cabinet aux porcelaines, et celui de la jolie fiancée de ma chambre, devenue une tête grise, et portant une fleur au corsage, dans la salle à manger. Par contre, j’avais l’ascension d’un gentleman du temps de la reine Anne, que quatre anges entouraient de guirlandes et s’efforçaient d’enlever au ciel, non sans difficulté ; plus, un tableau en tapisserie représentant des fruits, un chaudron et un alphabet. En un mot, tous les meubles, depuis les armoires jusqu’aux pelotes et aux flacons des tables de toilette, offraient la même diversité, et n’avaient de commun entre eux que leur exquise propreté, et la profusion de feuilles de rose et de lavande que renfermait chaque tiroir. C’est ainsi que nous apparut pour la première fois Bleak-House, avec ses fenêtres versant dans la nuit la lumière des flambeaux, avec sa flamme dans chaque foyer, ses habitudes de confort, son cliquetis hospitalier d’assiettes et de couverts qui annonçaient le dîner, le visage de son généreux maître éclairant tout de son regard, et juste assez de vent au dehors pour accompagner de son murmure cette harmonie intérieure.

« Je suis enchanté que Bleak-House vous convienne, nous dit M. Jarndyce en nous ramenant au petit salon de miss Clare ; c’est une demeure sans prétention, mais confortable, et qui le deviendra bien davantage avec de jeunes sourires et de si beaux yeux dans ses murs. Il vous reste une demi-heure à peine jusqu’au dîner ; nous n’avons personne, si ce n’est la meilleure créature du monde…. un enfant.

— Encore un bambin à dorloter, Esther, me dit Éva.

— Non pas comme vous l’entendez, reprit mon tuteur ; celui dont je parle est un homme de mon âge ; mais ce n’en est pas moins un enfant, par la simplicité, la fraîcheur, l’enthousiasme de son esprit et l’innocente inaptitude qu’il a conservée pour toutes les choses de ce monde. Il est excellent musicien, dessine parfaitement, pourrait exercer la profession d’artiste et vit en amateur ; il est fort instruit, et ses manières sont des plus séduisantes. Il n’a pas été heureux dans ses affaires, ses entreprises, son intérieur, mais il ne s’en souvient même pas.

— A-t-il des enfants ? demanda Richard.

— Certes, une demi-douzaine : huit ou dix peut-être ; mais il ne s’en est jamais occupé ; comment l’aurait-il fait, lui qui ne pense pas même à ses propres besoins ?

— Et que sont-ils devenus ? poursuivit Richard ; ont-ils pu au moins se tirer d’affaire tout seuls ?

— Je l’espère, dit M. Jarndyce, dont la figure s’attrista. On ne