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Page:Dickens - Bleak-House, tome premier.pdf/68

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BLEAK-HOUSE

porte pas l’enfant du pauvre, on le traîne, et ce n’est pas à force de soins qu’on l’élève, mais à force de coups ; enfin, d’une manière ou de l’autre ceux d’Harold Skimpole ont culbuté dans le fossé… Le vent tourne, j’en ai peur. »

Richard fit observer que Bleak-House était en effet très-exposé à la bise.

« Assurément, répondit M. Jarndyce ; et nul doute que ce ne soit la cause de ce que j’éprouve ; mais votre chambre est près de la mienne, et je vais vous y conduire. »

Je fus habillée en quelques minutes, et je défaisais mes malles, quand une servante, que je n’avais pas encore vue, m’apporta un panier contenant deux trousseaux de clefs soigneusement étiquetées.

« Pour vous, s’il vous plaît, miss.

— Pour moi ?

— Les clefs de la maison, qu’on m’a dit de vous remettre ; je ne me trompe pas ; vous êtes bien miss Summerson ?

— Oui, répliquai-je.

— Le gros paquet de clefs est celui des chambres ; l’autre, celui de la cave ; demain matin, à l’heure que vous voudrez, je vous montrerai les armoires et les portes qu’elles ouvrent. »

Je lui répondis que je serais prête à six heures et demie. Elle s’en alla, et je restai debout en face du panier, tout émue de la grandeur et de l’importance de mes nouvelles fonctions ; mais lorsque j’eus montré mes clefs à Éva, et que je lui eus tout dit, elle me témoigna tant de confiance, que c’eût été de l’ingratitude de ne pas me sentir encouragée. Assurément c’était pure bienveillance de sa part, je le savais ; mais il m’était bien doux de me laisser tromper ainsi.

De retour au salon, nous fûmes présentées à M. Skimpole, que nous trouvâmes racontant à Richard combien, lorsqu’il était au collège, il avait été passionné pour le jeu de ballon. C’était un petit homme, à l’air vif et enjoué, avec la tête un peu forte, le visage délicat, la voix douce, un grand charme dans toute sa personne, et quelque chose de si imprévu et de si spontané dans l’esprit, que ses moindres paroles, dites avec une gaieté charmante, vous captivaient complétement. Il paraissait bien moins âgé que M. Jarndyce, et me faisait plutôt l’effet d’un jeune homme flétri que d’un vieillard bien conservé ; sa toilette participait de l’insouciance pleine de grâce qu’il montrait dans ses manières ; et ses cheveux, qui retombaient négligemment sur ses épaules, sa cravate lâche et flottante, comme celle que j’avais remarquée dans le portrait de certains artistes peints par