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Page:Dickens - Contes de Noël, traduction Lorain, 1857.djvu/117

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« Quant à vous, chien de nigaud, reprit l’aderman en s’adressant avec un redoublement de gaieté et d’urbanité au jeune forgeron, à quoi songez-vous de vous marier, pauvre sot ? Qu’est-ce que vous avez besoin de vous marier ? Si j’étais un beau gaillard, jeune et bien découplé comme vous, j’aurais honte d’être assez chauffe-la-couche pour m’attacher aux cordons du tablier d’une femme. Ne voyez-vous pas qu’elle sera déjà vieille, avant que vous ayez atteint la trentaine ! Vous ferez alors une jolie figure quand vous traînerez après vous une femme couverte de haillons et un tas d’enfants braillards, qui vous poursuivront partout de leurs larmes et de leurs cris ! »

Oh ! il savait bien gouailler le pauvre monde, l’alderman Cute !

« Voyons, continua-t-il, allez-vous-en et repentez-vous. Ne soyez pas assez niais pour vous marier au jour de l’an. Vous aurez des idées toutes différentes avant le jour de l’an qui suivra celui-ci. Un jeune drôle comme vous, bien bâti, qui donnera dans l’œil à toutes les jeunes filles !… Allons, décampez !… »

Ils décampèrent, non plus en se donnant le bras, ni en se tenant par la main, ni en échangeant de brillants regards, mais elle tout en larmes, et lui sombre et la tête baissée. Étaient-ce bien là les deux cœurs qui avaient naguère fait bondir de joie, dans sa poitrine, le cœur du vieux Toby au milieu de ses peines ? Non, non ; l’alderman, béni soit-il ! venait de les supprimer.

« Puisque vous êtes là, dit Cute à Toby, vous allez me porter une lettre. Êtes-vous assez leste ? vous êtes déjà vieux. »

Toby, qui suivait de l’œil la pauvre Meg d’un air de stupeur, eut quelque peine à murmurer entre ses dents qu’il était très-alerte et très-fort.

« Quel âge avez-vous ? demanda l’alderman.

— Soixante ans passés, monsieur, dit Toby.

— Oh ! cet homme a dépassé de beaucoup la moyenne, comme vous voyez, s’écria M. Filer en éclatant, car sa patience, poussée à bout, ne pouvait plus supporter un tel abus.

— Je sens bien que je suis un intrus, monsieur, dit Toby. je… je… m’en doutais ce matin, hélas ! »

L’alderman coupa court à ses lamentations en lui remettant la lettre qu’il tira de sa poche. Il allait lui donner aussi vingt-cinq sous pour sa peine, mais M. Filer lui démontra si clairement que c’était comme s’il prenait dix-neuf sous par tête dans la poche d’un nombre donné de personnes, qu’il ne donna que douze sous à Toby, et encore ce dernier s’estimant-il heureux de l’aubaine.

Alors l’alderman prit ses deux amis chacun par un bras, et se