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Page:Dickens - Contes de Noël, traduction Lorain, 1857.djvu/121

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Le pauvre Trotty ne voyait aucune part à réclamer pour lui dans la nouvelle année, pas plus que dans feu l’année dernière.

« Supprimons-les, supprimons-les ; faits sur chiffres, chiffres sur faits ; le bon vieux temps, le bon vieux temps ; supprimons les, supprimons-les… » C’est sur ce rhythme que se cadençait son trot qui se refusait à tout autre accompagnement.

Mais cette allure-là même, toute triste et mélancolique qu’elle était, l’amena, dans le temps voulu, au terme de son voyage, la maison de sir Joseph Bowley, membre du parlement.

La porte fut ouverte par un portier ; mais quel portier ! Ne pas confondre avec un porteur comme Toby. C’était bien autre chose, toute la distance qu’il y a d’une livrée d’étiquette à l’humble plaque d’un commissionnaire.

Ce concierge, haletant, eut besoin de reprendre haleine avant de pouvoir parler ; il s’était essoufflé à quitter son fauteuil trop précipitamment, sans se donner seulement le temps de réfléchir et de se remettre. L’imprudent ! Lorsqu’il eut enfin recouvré la voix, ce qui lui prit encore quelque temps, car elle était descendue très-bas, ensevelie sous le poids d’un copieux dîner, il murmura d’une voix grasseyante :

« De la part de qui ? »

Toby le lui dit.

« Vous allez porter la lettre vous-même, continua le concierge, lui montrant du doigt une pièce située à l’extrémité d’un long corridor qui prenait son entrée sur le vestibule. Tout le monde entre sans cérémonie, en ce jour de l’année. Vous avez bien fait d’arriver, car la voiture est déjà à la porte, et les maîtres ne sont venus en ville, tout exprès, que pour y passer une couple d’heures. »

Toby essuya ses pieds avec grand soin, bien qu’ils fussent parfaitement secs, et prit le chemin qu’on venait de lui indiquer, non sans s’émerveiller à chaque pas de l’apparence grandiose qu’avait cette maison, quoique tous les meubles y fussent rangés et couverts comme si la famille était encore à la campagne. Il frappa à la porte ; de l’intérieur on lui cria d’entrer, ce que faisant aussitôt, il se trouva dans une vaste bibliothèque où, devant une table jonchée de papiers et de dossiers, étaient assis une majestueuse dame en chapeau, et un monsieur très-peu majestueux, vêtu de noir, qui écrivait sous sa dictée, tandis qu’un autre personnage, beaucoup plus âgé et plus majestueux, dont la canne et le chapeau se trouvaient sur la table, se promenait de long en large, une main dans son gilet, jetant par intervalles des regards de