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Page:Dickens - Contes de Noël, traduction Lorain, 1857.djvu/142

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Etourdi par cette multitude de figures changeantes et extraordinaires, non moins que par le vacarme des cloches qui, pendant ce temps-là, sonnaient à toute volée, Trotty chercha un appui en se cramponnant à un des poteaux de la charpente, et tourna de tous les côtés son visage pâle d’effroi, dans une muette stupéfaction.

Tandis qu’il promène ainsi à droite et à gauche ses regards effarés, les cloches s’arrêtent. En un clin d’œil, tout change : cet essaim d’esprits disparaît complétement, leurs formes s’affaissent sur elles-mêmes, leur activité prodigieuse les abandonne, ils cherchent à fuir, mais tombent, et, en tombant, meurent et s’évanouissent dans l’air, sans être remplacés. Un traînard saute assez agilement de la plus grosse cloche sur le sol et retombe sur ses pieds, mais il était mort et avait disparu avant d’avoir pu faire un tour sur lui-même. Un petit nombre de ceux qui avaient gambadé dans le clocher demeurèrent là à faire quelque temps encore pirouettes sur pirouettes ; mais à chaque tour, ils devenaient plus faibles, moins nombreux, plus languissants, et bientôt ils s’en allaient comme le reste. Le dernier de tous fut un petit bossu, blotti dans un angle où venait se répercuter l’écho ; là, il se mit à tourbillonner seul sans relâche, comme s’il eût flotté au-dessus de l’eau, pendant un espace de temps assez long, avec une persévérance telle, qu’il en vint petit à petit à n’être plus qu’une jambe, puis même simplement un pied, avant de se retirer tout à fait ; mais, enfin, il s’évanouit aussi, et la tour redevint silencieuse.

Alors, et seulement alors, Trotty vit dans chaque cloche une figure barbue de même taille et de même dimension qu’elle, ou plutôt, ce qui est vraiment incompréhensible, la cloche elle-même, faite homme, grave, l’œil ouvert sur lui d’un air sombre, tandis qu’il demeurait là, immobile, comme s’il eût pris racine dans le sol.

Mystérieuses et imposantes figures ! Ne s’appuyant sur rien, suspendues dans l’atmosphère ténébreuse de la tour, avec leurs têtes drapées et encapuchonnées qui se perdaient dans le faîte obscur de l’édifice, immobiles et nébuleuses ! Sombres et ténébreux fantômes, quoiqu’il les vît à la lueur d’une lumière qui leur était personnelle, car il n’y en avait pas d’autre en ce lieu, chacun d’eux tenant sa main voilée sur ses lèvres fantastiques.

Toby ne pouvait plonger à travers l’ouverture du plancher, car il avait perdu toute faculté de se mouvoir ; autrement, il l’aurait fait, oui, il se serait jeté en aveugle, la tête la première,