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Page:Dickens - Contes de Noël, traduction Lorain, 1857.djvu/141

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de lutins, création vaporeuse des cloches. Il les vit sauter, voler, tomber goutte à goutte, ou versés à flots du fond des cloches, sans s’arrêter un instant. Il les vit tourner autour de lui, à terre ; au-dessus de lui, dans l’air ; descendre jusqu’en bas le long des cordes ; le regarder du haut des poutres massives maintenues par des crampons de fer ; le lorgner à travers les crevasses et les ouvertures des murailles, s’éloignant de lui peu à peu en cercles concentriques, qui s’élargissaient de plus en plus comme ceux que forme l’eau brusquement déplacée par une lourde pierre qui vient tout à coup à troubler, en tombant, sa surface. Il les vit sous toutes sortes de formes et d’aspects ; il les vit laids, beaux, estropiés, admirablement bien tournés ; il les vit jeunes, il les vit vieux, il les vit gracieux, il les vit repoussants, il les vit gais, il les vit affreux ; il les vit danser, il les entendit chanter ; il les vit s’arracher les cheveux, et les entendit hurler. Il en vit l’air épaissi ; il les vit aller et venir incessamment ; il les vit à cheval sur des coursiers aériens, descendre rapidement, puis remonter de même, prendre leur essor, mettre à la voile, disparaître au loin dans l’espace, se percher près de lui, s’agitant tous dans une perpétuelle et violente activité. La pierre, la brique, l’ardoise, la tuile, devenaient transparentes pour lui comme pour eux. Il les voyait jusque dans l'intérieur des maisons, occupés près du lit des hommes endormis ; il les voyait consoler les uns par des songes agréables, il les voyait flageller les autres avec des fouets garnis de nœuds, il les voyait pousser des cris d’enfer à leurs oreilles ; il les voyait faire à leur chevet la plus suave musique ; il les voyait égayer ceux-ci par le chant des oiseaux et le parfum des fleurs ; il les voyait effrayer ceux-là en faisant paraître soudain à leurs yeux d’horribles visages, au moyen des miroirs enchantés qu’ils tenaient à la main.

Il vit ces créatures étranges, non-seulement au milieu des hommes endormis, mais encore parmi ceux qui étaient éveillés, remplissant les fonctions les plus inconciliables, possédant en empruntant les formes les plus opposées. Il en vit un s’attacher aux épaules d’innombrables ailes pour augmenter la rapidité de sa course ; un autre, au contraire, se charger de chaînes et de poids pour retarder sa marche. Il en vit quelques-uns avancer les aiguilles des horloges et des montres, d’autres les faire rétrograder, d’autres, enfin, chercher à les arrêter tout à fait. Il les vit représenter ici la cérémonie d’un mariage ; là, des funérailles ; dans cette salle, une élection ; dans cette autre, un bal ; toujours et partout, une agitation sans repos, et un mouvement qui ne se ralentissait jamais.