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Page:Dickens - Contes de Noël, traduction Lorain, 1857.djvu/353

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LE POSSÉDÉ.

luttant avec la terre amaigrie pour conserver au moins un reste d’existence ; ses pavés, inaccoutumés au contact des pas humains et même reculés de tous les yeux, si ce n’est lorsqu’un passant égaré plongeait là des regards étonnés, en se demandant ce que c’était que ce trou ; son cadran solaire enfoui dans un petit coin recouvert de briques, où, depuis un siècle, pas le moindre rayon de soleil n’avait pénétré, mais au fond duquel, comme dédommagement de l’abandon du soleil, la neige séjournait pendant des semaines entières, par un privilége exclusif, tandis que le noir vent d’est, partout ailleurs silencieux et calme, s’y engouffrait comme dans une immense toupie ronflante ; tout enfin y frappait l’esprit d’une terreur sombre.

À l’intérieur, au cœur même de son logis, aux abords de son foyer, la demeure du chimiste semblait s’affaisser de vétusté, et cependant, elle était encore fort solide, malgré ses poutres, ses solives rongées par les vers, et son lourd plancher allant en pente dans la direction de la grande cheminée de chêne ; entourée, serrée par la pression de la ville, et néanmoins bien éloignée d’elle par le caractère, le temps et les usages ; paisible s’il en fut, et pourtant si pleine de retentissants échos, lorsqu’au loin une voix s’élevait ou que quelque porte se fermait, échos obstinés qui, au lieu de s’éteindre dans les corridors et les chambres vides, couraient grondant et murmurant jusque dans les profondeurs les plus reculées.

Il eût fallu le voir dans sa mansarde à l’heure du crépuscule, au milieu de la désolation de l’hiver.

À l’heure où le vent souffle et siffle, tandis que le soleil terne descend à l’horizon ; à l’heure où il fait juste assez sombre pour que les formes des choses deviennent vastes et indistinctes ; à l’heure où les gens assis près du feu commencent à voir dans les charbons des figures fantastiques, des montagnes, des abîmes, des embuscades et des armées ; à l’heure où dans les rues, le passant court, devant la brise ; à l’heure où ceux qui sont forcés d’affronter le temps sont arrêtés dans quelque coin obscur et glacial, par la neige qui fouette leurs paupières ; à l’heure où les fenêtres des maisons sont soigneusement closes, et où le gaz commence à darder ses rayons dans les rues tranquilles ou agitées, sur lesquelles la nuit descend avec rapidité ;

À l’heure où le vagabond, grelottant sur la voie publique, plonge des regards affamés sur les fourneaux des cuisines souterraines, surexcitant ainsi son appétit, en humant, tout le long du chemin, la fumée des dîners d’autrui ;