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Page:Dickens - Contes de Noël, traduction Lorain, 1857.djvu/354

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LE POSSÉDÉ.

À l’heure où ceux qui voyagent par terre sont gelés de froid et fixent des yeux hagards sur les sombres paysages, en frissonnant de tous leurs membres au souffle de la tempête ; à l’heure où les matelots suspendus aux vergues couvertes de glaçons sont affreusement balancés en tous sens au-dessus des flots en courroux ; à l’heure où les phares, plantés sur les rochers et les pointes de terre, apparaissent comme des sentinelles solitaires, tandis que les oiseaux de mer, surpris par la nuit, se précipitent sur les fanaux, s’y brisent et tombent morts ;

À l’heure où les petits enfants, lisant des contes au coin du feu, tremblent en songeant au sort de Cassim Baba, dont les membres, coupés en morceaux, sont suspendus dans la caverne des quarante voleurs, ou se demandent avec effroi s’il ne leur arrivera pas, en traversant le sombre et long corridor conduisant à la chambre à coucher, de rencontrer quelque soir la petite vieille si terrible avec sa béquille, celle qui avait coutume de s’élancer hors de la boîte, dans la chambre du marchand Abudah ;

À l’heure où, dans la campagne, les dernières lueurs du jour s’évanouissent au fond des avenues, tandis que les arbres, courbés en forme de voûte, se couvrent de ténèbres épaisses ; à l’heure où, dans le parc et les bois, les hautes et humides fougères, la mousse et les lits de feuilles mortes et les troncs d’arbres se dérobent à la vue sous des masses d’ombres impénétrables ; à l’heure où des brouillards surgissent des prés et des rivières, à l’heure où les clartés qui brillent aux fenêtres des vieux manoirs et des cottages font envie au voyageur. À l’heure où le moulin s’arrête, où l’artisan ferme son atelier, où le laboureur, laissant sa charrue dans le champ désert, ramène ses bœufs à l’étable, tandis que l’horloge de l’église tinte plus sonore, et que la porte du cimetière est close pour toute la nuit ;

À l’heure où, de toutes parts, le crépuscule délivre les ombres emprisonnées depuis le commencement du jour, qui, maintenant, se rassemblent et se massent, pareilles à d’innombrables légions de fantômes ; à l’heure où elles se tiennent accroupies dans les coins des maisons et grimacent derrière les portes entr’ouvertes ; à l’heure où elles sont en pleine possession des demeures désertes ; à l’heure où, dans les lieux habités, elles dansent sur les planches, sur les murs et les plafonds, pendant que le feu languit au foyer, mais pour se retirer, comme des eaux à la marée basse, dès que la flamme se réveille ; à l’heure où, transformant d’une façon fantastique tout ce qui se trouve au logis, elles font de la bonne une ogresse, du cheval de bois