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Page:Dickens - Contes de Noël, traduction Lorain, 1857.djvu/44

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sévères de sa maturité ; mais il avait commencé à porter les marques de l’inquiétude et de l’avarice. Il y avait dans son regard une mobilité ardente, avide, inquiète, qui indiquait la passion qui avait pris racine en lui : on devinait déjà de quel côté allait se projeter l’ombre de l’arbre qui commençait à grandir.

Il n’était pas seul, il se trouvait au contraire à côté d’une belle jeune fille vêtue de deuil, dont les yeux pleins de larmes brillaient à la lumière du spectre de Noël passé.

«  Peu importe, disait-elle doucement, à vous du moins. Une autre idole a pris ma place, et, si elle peut vous réjouir et vous consoler plus tard, comme j’aurais essayé de le faire, je n’ai pas autant de raisons de m’affliger.

― Quelle idole a pris votre place ? répondit-il.

― Le veau d’or.

― Voilà bien l’impartialité du monde ! dit-il. Il n’y a rien qu’il traite plus durement que la pauvreté ; et il n’y a rien qu’il fasse profession de condamner avec autant de sévérité que la poursuite de la richesse !

― Vous craignez trop l’opinion du monde, répliquait la jeune fille avec douceur. Vous avez sacrifié toutes vos espérances à celle d’échapper un jour à son mépris sordide. J’ai vu vos plus nobles aspirations disparaître une à une, jusqu’à ce que la passion dominante, le lucre, vous ait absorbé. N’ai-je pas raison ?

― Eh bien ! quoi ? reprit-il. Lors même que je serais devenu plus raisonnable en vieillissant, après ? je ne suis pas changé à votre égard. »

Elle secoua la tête.

«  Suis-je changé ?

― Notre engagement est bien ancien. Nous l’avons pris ensemble quand nous étions tous les deux pauvres et contents de notre état, en attendant le jour où nous pourrions améliorer notre fortune en ce monde par notre patiente industrie. Vous avez bien changé. Quand cet engagement fut pris, vous étiez un autre homme.

― J’étais un enfant, dit-il avec impatience.

― Votre propre conscience vous dit que vous n’étiez point alors ce que vous êtes aujourd’hui, répliqua-t-elle. Pour moi, je suis la même. Ce qui pouvait nous promettre le bonheur, quand nous n’avions qu’un cœur, n’est plus qu’une source de peines depuis que nous en avons deux. Combien de fois et avec quelle amertume j’y ai pensé, je ne veux pas vous le dire. Il suffit que j’y aie pensé, et que je puisse à présent vous rendre votre parole.