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Pendant tout ce temps, Scrooge s’était agité comme un homme qui aurait perdu l’esprit. Son cœur et son âme avaient pris part à cette scène avec son autre lui-même. Il reconnaissait tout, se rappelait tout, jouissait de tout et éprouvait la plus étrange agitation. Ce ne fut plus que quand ces brillants visages de son autre lui-même et de Dick eurent disparu à leurs yeux, qu’il se souvint du fantôme et s’aperçut que ce dernier le considérait très-attentivement, tandis que la lumière dont sa tête était surmontée brillait d’une clarté de plus en plus vive.

«  Il faut bien peu de chose, dit le fantôme, pour inspirer à ces sottes gens tant de reconnaissance…

― Peu de chose ! répéta Scrooge. »

L’esprit lui fit signe d’écouter les deux apprentis qui répandaient leurs cœurs en louanges sur Fezziwig, puis ajouta, lorsqu’il eut obéi :

«  Eh quoi ! voila-t-il pas grand-chose ? Il a dépensé quelques livres sterling de votre argent mortel ; trois ou quatre peut-être. Cela vaut-il la peine de lui donner tant d’éloges ?

― Ce n’est pas cela, dit Scrooge excité par cette remarque, et parlant, sans s’en douter, comme son autre lui-même et non pas comme le Scrooge d’aujourd’hui. Ce n’est pas cela, esprit. Fezziwig a le pouvoir de nous rendre heureux ou malheureux ; de faire que notre service devienne léger ou pesant, un plaisir ou une peine. Que ce pouvoir consiste en paroles et en regards, en choses si insignifiantes, si fugitives qu’il est impossible de les additionner et de les aligner en compte, eh bien, qu’est-ce que cela fait ? le bonheur qu’il nous donne est tout aussi grand que s’il coûtait une fortune. »

Scrooge surprit le regard perçant de l’esprit et s’arrêta.

«  Qu’est-ce que vous avez ? demanda le fantôme.

― Rien de particulier, répondit Scrooge.

― Vous avez l’air d’avoir quelque chose, insista le spectre.

― Non, dit Scrooge, non. Seulement j’aimerais à pouvoir dire en ce moment un mot ou deux à mon commis. Voilà tout. »

Son autre lui-même éteignit les lampes au moment où il exprimait ce désir ; et Scrooge et le fantôme se trouvèrent de nouveau côte à côte en plein air.

«  Mon temps s’écoule, observa l’esprit… Vite ! »

Cette parole n’était point adressée à Scrooge ou à quelqu’un qu’il pût voir, mais elle produisit un effet immédiat, car Scrooge se revit encore. Il était plus âgé maintenant, un homme dans la fleur de l’âge. Son visage n’avait point les traits durs et