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le mien. C’est là que mène une vie comme la mienne… Seigneur miséricordieux, qu’est-ce que je vois ? »

Il recula de terreur, car la scène avait changé, et il touchait presque un lit, un lit nu, sans rideaux, sur lequel, recouvert d’un drap déchiré, reposait quelque chose dont le silence même révélait la nature en un terrible langage.

La chambre était très-sombre, trop sombre pour qu’on pût remarquer avec exactitude ce qui s’y trouvait, bien que Scrooge, obéissant à une impulsion secrète, promenât ses regards curieux, inquiet de savoir ce que c’était que cette chambre. Une pâle lumière, venant du dehors, tombait directement sur le lit où gisait le cadavre de cet homme dépouillé, volé, abandonné de tout le monde, auprès duquel personne ne pleurait, personne ne veillait.

Scrooge jeta les yeux sur le fantôme dont la main fatale lui montrait la tête du mort. Le linceul avait été jeté avec tant de négligence, qu’il aurait suffi du plus léger mouvement de son doigt pour mettre à nu ce visage. Scrooge y songea ; il voyait combien c’était facile, il éprouvait le désir de le faire, mais il n’avait pas plus la force d’écarter ce voile que de renvoyer le spectre qui se tenait debout à ses côtés.

« Oh ! froide, froide, affreuse, épouvantable mort ! Tu peux dresser ici ton autel et l’entourer de toutes les terreurs dont tu disposes ; car tu es bien là dans ton domaine ! Mais, quand c’est une tête aimée, respectée et honorée, tu ne peux faire servir un seul de ses cheveux à tes terribles desseins, ni rendre odieux un de ses traits. Ce n’est pas qu’alors la main ne devienne pesante aussi, et ne retombe si je l’abandonne ; ce n’est pas que le cœur et le pouls ne soient silencieux ; mais cette main, elle fut autrefois ouverte, généreuse, loyale ; ce cœur fut brave, chaud, honnête et tendre : c’était un vrai cœur d’homme qui battait là dans sa poitrine. Frappe, frappe, mort impitoyable ! tes coups sont vains. Tu vas voir jaillir de sa blessure ses bonnes actions, l’honneur de sa vie éphémère, la semence de sa vie immortelle ! »

Aucune voix ne prononça ces paroles aux oreilles de Scrooge, il les entendit cependant lorsqu’il regarda le lit. « Si cet homme pouvait revivre, pensait-il, que dirait-il à présent de ses pensées d’autrefois ? L’avarice, la dureté de cœur, l’âpreté du gain, ces pensées-là, vraiment, l’ont conduit à une belle fin ! »

« Il est là, gisant dans cette maison déserte et sombre, où il n’y a ni homme, ni femme, ni enfant, qui puisse dire : « Il fut bon pour moi dans telle ou telle circonstance, et je serai bon pour lui, à mon tour, en souvenir d’une parole bienveillante. » Seulement