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Page:Dickens - Contes de Noël, traduction Lorain, 1857.djvu/80

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un chat grattait à la porte, et, sous la pierre du foyer, on entendait un bruit de rats qui rongeaient quelque chose. Que venaient-ils chercher dans cette chambre mortuaire ? Pourquoi étaient-ils si avides, si turbulents ? Scrooge n’osa point y penser.

«  Esprit, dit-il, ce lieu est affreux. En le quittant, je n’oublierai pas la leçon qu’il me donne, croyez-moi. Partons ! »

Le spectre, de son doigt immobile, lui montrait toujours la tête du cadavre.

« Je vous comprends, répondit Scrooge, et je le ferais si je pouvais. Mais je n’en ai pas la force ; esprit, je n’en ai pas la force. »

Le fantôme parut encore le regarder avec une attention plus marquée.

«  S’il y a quelqu’un dans la ville qui ressente une émotion pénible par suite de la mort de cet homme, dit Scrooge en proie aux angoisses de l’agonie, montrez-moi cette personne, esprit, je vous en conjure. »

Le fantôme étendit un moment sa sombre robe devant lui comme une aile, puis, la repliant, lui fit voir une chambre éclairée par la lumière du jour, où se trouvaient une mère et ses enfants.

Elle attendait quelqu’un avec une impatience inquiète ; car elle allait et venait dans sa chambre, tressaillait au moindre bruit, regardait par la fenêtre, jetait les yeux sur la pendule, essayait, mais en vain, de recourir à son aiguille, et pouvait à peine supporter les voix des enfants dans leurs jeux.

Enfin retentit à la porte le coup de marteau si longtemps attendu. Elle courut ouvrir : c’était son mari, homme jeune encore, au visage abattu, flétri par le chagrin ; on y voyait pourtant en ce moment une expression remarquable, une sorte de plaisir triste dont il avait honte et qu’il s’efforçait de réprimer.

Il s’assit pour manger le dîner que sa femme avait tenu chaud près du feu, et quand elle lui demanda d’une voix faible : « Quelles nouvelles ? » (ce qu’elle ne fit qu’après un long silence), il parut embarrassé de répondre.

«  Sont-elles bonnes ou mauvaises ? dit-elle pour l’aider.

― Mauvaises, répondit-il.

― Sommes-nous tout à fait ruinés ?

― Non, Caroline. Il y a encore de l’espoir.

― S’il se laisse toucher, dit-elle toute surprise ; après un tel miracle, on pourrait tout espérer, sans doute.

― Il ne peut plus se laisser toucher, dit le mari ; il est mort. »