Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/102

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entier, il n’y échappa pas une seule fois, sauf un lundi, jour de congé, où il ne reçut que quelques coups de règle sur les doigts. Il nous annonçait tous les jours qu’il allait écrire à son oncle pour se plaindre, et jamais il ne le faisait. Après un moment de réflexion, la tête couchée sur son pupitre, il se relevait se remettait à rire, et dessinait partout des squelettes sur son ardoise, jusqu’à ce que ses yeux fussent tout à fait secs. Je me suis longtemps demandé quelle consolation Traddles pouvait trouver à dessiner des squelettes ; je le prenais au premier abord pour une espèce d’ermite, qui cherchait à se rappeler, au moyen de ces symboles de la brièveté de la vie, que l’exercice de la canne n’aurait qu’un temps. Mais je crois qu’en réalité il avait adopté ce genre de sujets, parce que c’était le plus facile, et qu’il n’y avait pas de traits à faire sur les lignes.

Traddles était un garçon plein de cœur ; il considérait comme un devoir sacré pour tous les élèves de se soutenir les uns les autres. Plusieurs fois il eut à en porter la peine. Un jour surtout où Steerforth avait ri pendant l’office, le bedeau crut que c’était Traddles, et le fit sortir. Je le vois encore, quittant l’église, suivi des regards de toute la congrégation. Il ne voulut jamais dire quel était le vrai coupable, et pourtant le lendemain il fut cruellement châtié, et il passa tant d’heures en prison, qu’il en sortit avec un plein cimetière de squelettes entassés sur toutes les pages de son dictionnaire latin. Mais aussi il fut bien récompensé. Steerforth dit que Traddles n’était pas un capon, et quelle louange à nos yeux aurait pu valoir celle-là ? Quant à moi, j’aurais supporté bien des choses pour obtenir une pareille indemnité (et pourtant j’étais bien plus jeune que Traddles, et beaucoup moins brave).

Un des grands bonheurs de ma vie, c’était de voir Steerforth se rendre à l’église en donnant le bras à miss Creakle. Je ne trouvais pas miss Creakle aussi belle que la petite Émilie ; je ne l’aimais pas, jamais je n’aurais eu cette audace, mais je la trouvais remarquablement séduisante, et d’une distinction sans égale. Quand Steerforth, en pantalon blanc, tenait l’ombrelle de miss Creakle, je me sentais fier de le connaître, et il me semblait qu’elle ne pouvait s’empêcher de l’adorer de tout son cœur. M. Sharp et M. Mell étaient certainement à mes yeux de grands personnages, mais Steerforth les éclipsait comme le soleil éclipse les étoiles

Steerforth continuait à me protéger, et son amitié m’était