Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/101

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martyrisé. Une rangée de petits garçons placés après moi, observent son œil, dans le même sentiment d’angoisse. Je sens qu’il le voit, bien qu’il ait l’air de ne pas s’en apercevoir. Il fait d’épouvantables grimaces tout en rayant son cahier, puis il jette sur nous un regard de coté ; nous nous penchons en tremblant sur nos livres. Un moment après, nos yeux sont de nouveau attachés sur lui. Un malheureux coupable, qui a mal fait un de ses devoirs, s’avance sur l’injonction de M. Creakle. Il balbutie des excuses et promet de mieux faire le lendemain. M. Creakle fait quelque plaisanterie avant de le battre, et nous rions, pauvres petits chiens couchants que nous sommes ; nous rions, pâles comme la mort, et le corps refoulé jusqu’au bas de nos talons.

Me voilà de nouveau devant mon pupitre, par une étouffante journée d’été. J’entends tout autour de moi un bourdonnement confus, comme si mes camarades étaient autant de grosses mouches. J’ai encore sur l’estomac le gras de bouilli tiède que nous avons eu à dîner il y a une heure ou deux. J’ai la tête lourde comme du plomb, je donnerais tout au monde pour pouvoir dormir. J’ai l’œil sur M. Creakle, je cherche à le tenir bien ouvert ; quand le sommeil me gagne par trop, je le vois à travers un nuage, réglant éternellement son cahier puis, tout d’un coup, il vient derrière moi et me donne un sentiment plus réel de sa présence, en m’allongeant un bon coup de canne sur le dos.

Maintenant je suis dans la cour, toujours fasciné par lui, bien que je ne puisse pas le voir. Je sais qu’il est occupé à dîner dans une pièce dont je vois la fenêtre ; c’est la fenêtre que j’examine. S’il passe devant, ma figure prend immédiatement une expression de résignation soumise. S’il met la tête à la fenêtre, l’élève le plus audacieux (Steerforth seul excepté) s’arrête au milieu du cri le plus perçant, pour prendre l’air d’un petit saint. Un jour Traddles (je n’ai jamais vu garçon plus malencontreux) casse par malheur un carreau de la fenêtre avec sa balle. À l’heure qu’il est, je frissonne encore en songeant à ce moment fatal ; la balle a dû rebondir jusque sur la tête sacrée de M. Creakle.

Pauvre Traddles ! Avec sa veste et son pantalon bleu de ciel devenus trop étroits, qui donnaient à ses bras et à ses jambes l’air de saucissons bien ficelés, c’était bien le plus gai, mais aussi le plus malheureux de nous tous. Il était battu régulièrement tous les jours ; je crois vraiment que pendant ce semestre