Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/159

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droits. Ses boutons de métal étaient de la plus grande dimension. Un pantalon gris et un gilet jaune complétaient la toilette de M. Barkis, que je regardais comme un modèle d’élégance. Quand nous fûmes hors de la maison, j’aperçus M. Peggotty tenant à la main un vieux soulier qu’il voulait faire lancer après nous pour nous porter bonheur, et il l’offrait dans ce but à mistress Gummidge.

« Non, il vaut mieux que ce soit une autre personne, Daniel, dit mistress Gummidge. Je suis une pauvre créature perdue sans ressource, et tout ce qui me rappelle qu’il y a des créatures qui ne sont pas perdues sans ressource et seules au monde comme moi, me contrarie trop.

— Allons, ma vieille ! dit M. Peggotty, prenez le soulier et jetez-le.

— Non, Daniel, répondit mistress Gummidge en gémissant et en secouant la tête ; si je sentais les choses moins vivement, à la bonne heure ! Vous n’êtes pas comme moi, Daniel ; rien ne vous contrarie et vous ne contrariez personne, il vaut mieux que ce soit vous. »

Ici Peggotty, qui avait embrassé tout le monde d’un air un peu troublé, cria de la carriole où nous étions tous (Émilie et moi sur deux petites chaises), que c’était à mistress Gummidge de jeter le soulier. Elle s’y décida enfin, mais je suis fâché de dire qu’elle gâta légèrement l’air de fête de notre départ en fondant immédiatement en larmes, après quoi elle se laissa tomber dans les bras de Cham en déclarant qu’elle savait bien qu’elle était un grand embarras, et qu’il vaudrait mieux la porter tout de suite à l’hôpital. Je trouvais ça très-raisonnable et j’aurais approuvé Cham de lui rendre ce petit service. Mais nous voilà en route pour notre partie de plaisir. M. Barkis s’arrêta bientôt à la porte d’une église, il attacha le cheval aux barreaux de la grille, puis entra avec Peggotty, me laissant seul avec Émilie dans la carriole. Je saisis cette occasion pour passer mon bras autour de sa taille, et pour lui proposer, puisque je devais sitôt la quitter, de prendre le parti d’être très-tendres l’un pour l’autre et très-heureux tout le jour. Elle y consentit, et me permit même de l’embrasser ; à la suite de cette faveur, je m’enhardis jusqu’à lui dire (je m’en souviens encore ) que je n’aimerais jamais une autre femme, et que j’étais décidé à verser le sang de quiconque prétendrait à son affection.

C’est pour le coup que la petite Émilie s’amusa à mes dépens.