Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/179

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jetés par terre, l’argent qu’il me fallait, tandis que sa femme, ses souliers en pantoufles et un enfant sur les bras, lui reprochait tout le temps sa conduite. Quelquefois il perdait son argent, et me disait de revenir plus tard ; mais sa femme avait toujours quelques pièces de monnaie qu’elle lui avait prises dans sa poche quand il était ivre, je suppose, et elle soldait la marché secrètement dans l’échoppe, quand nous étions descendus ensemble.

On commençait à me bien connaître aussi dans la boutique du prêteur sur gages. Le premier commis qui fonctionnait derrière le comptoir, me montrait beaucoup de considération et me faisait souvent décliner un substantif ou un adjectif latin, ou bien conjuguer un verbe, pendant qu’il s’occupait de mon affaire. Dans ces occasions, mistress Micawber préparait d’ordinaire un petit souper recherché, et je me rappelle bien le charme tout particulier de ces repas.

Enfin la crise arriva. M. Micawber fut arrêté un jour, de grand matin, et emmené à la prison du Banc-du-Roi. Il me dit en quittant la maison que le Dieu du jour s’était couché pour lui à jamais, et je croyais réellement que son cœur était brisé, le mien aussi. J’appris pourtant plus tard qu’il avait joué aux quilles très-gaiement dans l’après-midi.

Le premier dimanche après son emprisonnement, je devais aller le voir et dîner avec lui. Je devais demander mon chemin à tel endroit, et avant d’arriver là, je devais rencontrer tel autre endroit, et un peu avant je verrais une cour que je devais traverser, puis aller tout droit jusqu’à ce que je trouvasse un geôlier. Je fis tout ce qui m’était indiqué, et quand j’aperçus enfin le geôlier (pauvre enfant que j’étais), je me rappelai que, lorsque Roderick Random était en prison pour dettes, il y avait vu un bomme qui n’avait pour tout vêtement qu’un vieux morceau de tapis, et le cœur me battit si fort d’inquiétude que je ne voyais plus le geôlier.

M. Micawber m’attendait près de la porte, et une fois arrivé dans sa chambre, qui était située à l’avant dernier étage de la maison, il se mit à pleurer. Il me conjura solennellement de me souvenir de sa destinée et de ne jamais oublier que si un homme avec vingt livres sterling de rente, dépensait dix-neuf livres, dix-neuf shillings et six pence, il pouvait être heureux, mais que s’il dépensait vingt et une livres sterling, il ne pouvait pas manquer de tomber dans la misère. Après quoi, il m’emprunta un shilling pour acheter du porter, me donna un