Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/222

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personne qui méritait respect et confiance. Quoiqu’elle fût aussi animée que la veille contre les ânes, et qu’elle se précipitât aussi souvent hors du jardin pour défendre la pelouse ; quelque violente indignation qu’elle éprouvât en voyant un jeune homme en passant faire les yeux doux à Jeannette assise à la fenêtre, ce qui était une des offenses les plus graves qu’on pût porter à la dignité de ma tante, cependant il m’était impossible de ne pas me sentir plus de respect pour elle et peut-être moins de frayeur.

J’attendais avec une extrême anxiété la réponse de M. Murdstone, mais je faisais de grands efforts pour le dissimuler, et pour me rendre aussi agréable que possible à ma tante et à M. Dick. Je devais sortir avec ce dernier pour enlever le grand cerf-volant, mais je n’avais pas d’autres habits que les vêtements un peu extraordinaires dont on m’avait affublé le premier jour, ce qui me retenait à la maison, à l’exception d’une promenade hygiénique d’une heure que ma tante me faisait faire sur la falaise devant la maison, à la tombée de la nuit, avant de me coucher. Enfin la réponse de M. Murdstone arriva, et ma tante m’informa, à mon grand effroi, qu’il viendrait lui parler le lendemain. Le lendemain donc, toujours revêtu de mon étrange costume, je comptais les heures, tremblant d’avance de terreur à l’idée de ce sombre visage, m’étonnant sans cesse de ne pas le voir arriver, et agité à tout moment par la lutte de mes espérances que je sentais faiblir, et de mes craintes qui reprenaient le dessus.

Ma tante était un peu plus impérieuse et plus sévère qu’à l’ordinaire ; je n’aperçus pas, à d’autres traces, qu’elle se préparât à recevoir ce visiteur qui m’inspirait tant de terreur. Elle travaillait près de la fenêtre, et moi, assis auprès d’elle, je réfléchissais à tous les résultats possibles et impossibles de la visite de M. Murdstone. L’après-midi s’avançait, le dîner avait été retardé indéfiniment, mais ma tante impatientée venait de dire qu’on servît, quand elle jeta un cri d’alarme à la vue d’un âne ; quelle fut ma consternation quand j’aperçus alors miss Murdstone montée sur le baudet, traverser d’un pas délibéré la pelouse sacrée, et s’arrêter en face de la maison, regardant tout autour d’elle, pendant que ma tante criait en secouant la tête, et en lui montrant le poing par la fenêtre :

« Passez votre chemin ! vous n’avez rien à faire ici vous êtes en contravention ! allez-vous-en ! A-t-on jamais vu pareille impudence ! »