Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/223

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Ma tante était tellement courroucée par le sang-froid de miss Murdstone, qu’en vérité je crois qu’elle en perdit le mouvement et devint à l’instant incapable de se précipiter à l’attaque comme de coutume. Je saisis cette occasion pour lui dire que c’était miss Murdstone, et que le monsieur qui venait de la rejoindra (car le sentier étant très-raide, il était testé quelques pas en arrière) était M. Murdstone lui-même.

« Peu m’importe ! cria ma tante, secouant toujours la tête et faisant par la fenêtre du salon des gestes qui ne pouvaient pas être interprétés comme un compliment de bienvenue, je ne veux pas de contravention ! je ne le souffrirai pas ! Allez-vous-en ! Jeannette, chassez-les ! emmenez-les ! » Et caché ma tante, je vis une espèce de combat : l’âne, les quatre pattes plantées en terre, résistait à tout le monde, Jeannette le tirait par la bride pour le faire tourner, M. Murdstone essayait de la faire avancer, miss Murdstone donnait à Jeannette des coups d’ombrelle, et plusieurs petits garçons, accourus au bruit, criaient de toutes leurs forces. Mais ma tante reconnaissant tout à coup parmi eux le jeune malfaiteur chargé de la conduite de l’âne et qui était l’un de ses ennemis les plus acharnés, quoiqu’il eût à peine treize ans, se précipita sur le théâtre du combat, se jeta sur lui, le saisit, le traîna dans le jardin, sa veste par-dessus sa tête, et ses talons raclant le sol ; puis appelant Jeannette pour aller chercher la police et la justice, afin qu’il fût pris, jugé et exécuté sur les lieux, elle le gardait à vue. Mais cette scène termina la comédie. Le gamin, qui avait bien des tours dans son sac, dont ma tante n’avait aucune idée, trouva bientôt moyen de s’échapper, avec un cri de victoire, laissant les traces de ses souliers ferrés dans les plates-bandes, et emmenant son âne en triomphe, l’un portant l’autre.

Miss Murdstone, en effet, avait quitté sa monture à la fin du combat, et elle attendait avec son frère, au bas des marches, que ma tante eût le loisir de les recevoir. Un peu agitée encore par la lutte, ma tante passa à côté d’eux avec une grande dignité, rentra chez elle et na s’inquiéta plus de leur présence jusqu’au moment où Jeannette vint les annoncer.

« Faut-il m’en aller, ma tante ? demandai-je en tremblant.

— Non, monsieur, dit ma tante, non certes ! » Sur quoi elle me poussa dans un coin près d’elle, et fit une barrière avec une chaise comme si c’était une geôle ou la barre du tribunal. Je continuai à occuper cette position pendant l’entrevue tout